Si sa dernière œuvre, Love and Treachery, ne nous avait pas entièrement convaincus (lire notre critique ici), nous étions tout de même heureux de rencontrer son auteur : Yazaki Hitoshi, et de discuter les divers aspects de son film. Cachant une grande humilité sous son chapeau et ses lunettes noires, le réalisateur a répondu poliment à toutes nos questions, terminant même sur une note d’humour envers son ami Sono Sion, qui était aussi présent lors de cette belle édition de Kinotayo 2012. Par Victor Lopez.
Pouvez-vous brièvement présenter votre carrière à nos lecteurs et aux spectateurs de Kinotayo qui découvrent votre cinéma avec Love and Treachery ?
C’est un peu difficile de se présenter, mais je vais essayer. Je suis réalisateur de cinéma. Mon nom est Yazaki Hitoshi. Je ne sais pas trop quoi rajouter…
Dans ce cas, parlons d’abord de Love and Treachery et nous reviendrons à l’occasion sur vos autres films. Comment avez-vous découvert le roman de Shindo Fuyuki et qu’est-ce qui vous a poussé à l’adapter à l’écran ?
Ce n’est pas vraiment un choix personnel. Comme pour mon film précédent, Sweet Little Lies, c’est le producteur qui l’a choisi, et qui m’a ensuite choisi pour l’adapter. Mais quand j’ai découvert l’œuvre, j’ai tout de suite trouvé l’histoire intéressante. C’était une histoire adulte et riche. Et je me suis tout de suite dit que c’était une chance de la réaliser. D’autant que l’auteur, Shindo Fuyuki m’a laissé une grande liberté. Il était d’accord pour que l’adaptation cinématographique puisse partir dans une direction différente de l’œuvre originale, à partir du moment où ça fonctionnait.
J’aime aussi beaucoup les films de Jean-Pierre Melville et avec cette proposition, j’avais la possibilité de faire quelque chose en connexion avec ce que j’aime des films français. Comme on me considère comme un réalisateur d’œuvres plutôt reliées au monde féminin, pour une fois, j’allais faire quelque chose de féminin, mais aussi dans la tradition des films noirs, et de Melville en particulier.
Le film navigue en effet entre plusieurs genres. Vous parlez de films noirs, c’est aussi une chronique sur l’adultère, c’est encore un film érotique. Quel est pour vous le genre de Love and Treachery ?
L’histoire du cinéma n’a que 100 ans et il y a effectivement une classification par genre établie. Mais moi, ma préoccupation n’est pas d’être dans un genre ou un autre, c’est d’aller de l’avant et de prendre ma place quelle qu’elle soit. C’est une question que je ne me suis pas vraiment posée.
Avec cette idée d’un personnage lambda qui se perd dans un univers romanesque, on pense à Inju de Barbet Schroder, d’après Edogawa Rampo. L’avez-vous vu et aviez-vous des films ou des ouvrages précis en tête en imaginant Love and Treachery ?
Je n’avais pas cette référence en tête car je ne connais pas cette adaptation. La référence du film était plus Antonioni, qui était plus présent que Edogawa Rampo.
J’aimerais parler de la photographie. Certains plans sont très structurés, à l’inverse, la photographie du film est assez brute, réaliste et parfois très sombre. Quels étaient vos indications de lumière au directeur de la photographie ?
Pour replacer les choses dans leur contexte, c’est un très petit budget que l’on a tourné en seulement une semaine. Pour l’éclairage, je ne pouvais avoir d’exigence très importante. Par contre, je savais qu’ils avaient envie de travailler sur les ténèbres. C’est pour ça que je les ai choisis et c’est ce qu’ils ont essayé de faire.
Pour revenir à votre film précèdent, comment situez-vous Love and Treachery par rapport à Sweet Little Lies qui parlait aussi de l’adultère ?
Ce n’est pas vraiment la thématique de l’adultère qui m’intéresse. Par rapport à mes films, je ne crois pas que l’on puisse parler de thématique d’une œuvre à l’autre. Dans mon travail, je pense que j’attends mon but quand je montre le côté incompréhensible de l’humanité.
J’aimerais parler de la première scène de sexe, qui arrive assez tardivement mais marque par sa durée et sa crudité. Pourquoi avoir opté pour un montage si long (notamment avec un plan-séquence assez impressionnant au début) et une représentation si frontale de la sexualité ?
Dans les films érotiques, le processus est toujours le même : il y a une rencontre et elle se traduit par une relation sexuelle. Mais dans le roman original, cette scène représente environ la moitié du texte, j’étais donc aussi contraint à représenter son importance. Maintenant, ce que moi j’ai essayé de faire dans la mise en scène, c’est, au lieu d’avoir quelque chose qui passe par des dialogues ou de façon très convenue, j’ai essayé de donner une sorte d’évidence aux sentiments représentés dans cette scène.
Le film est sorti au Japon en janvier, comment a-t-il été reçu là-bas et surtout est-ce que cette scène a provoqué des réactions particulières ?
Je ne me suis pas vraiment préoccupé du problème… Je n’ai pas eu vent de réaction particulière mais je ne suis pas vraiment intéressé à cette réception. Par contre, l’équipe du film et les gens qui y ont participé m’ont dit que la scène pourrait encore être plus longue, et était fier que la scène puisse être vue par des femmes et qu’il n’y avait pas d’omniprésence du point de vue masculin, comme c’est souvent le cas.
Le film joue avec de nombreux symboles (les roses jaunes et blanches), oppose les éléments (l’eau et le feu), évoque le nombre d’or… Était-ce pour sortir cette histoire de la quotidienneté (finalement, c’est un homme qui est manipulé et qui trompe sa femme) et lui donner un caractère plus métaphorique, plus universel ?
Je n’attends pas vraiment des gens qui regardent mes films d’une compréhension comme celui d’un code qu’il s’agirait de déchiffrer mais plutôt une sensation. Je les amène à toucher des choses, de manière presque instinctive. Cependant, concernant l’utilisation des symboles, je me suis quand même bien éloigné de l’œuvre originale et ce sont des choses que j’ai rajouté. Mais cela participe plus à l’éveil des sensations qu’à un déchiffrage intellectuel.
Nous avons rencontré hier Sono Sion, qui nous disait que le cinéma japonais était dans une déférence trop grande au cinéma américain symbolisé par John Ford d’un côté, et japonais, symbolisé par Ozu de l’autre. Qu’en pensez-vous et comment vous situez-vous par rapport à cela (voir ici) ?
(rires) Ha, Sono Sion… Nous nous connaissons et je connais bien son travail, au moins jusqu’à Cold Fish. J’ai une affection particulière pour lui car ce qu’il fait est vraiment unique. Et en plus, je suis impressionné par sa vitesse et le rythme très rapide auquel il arrive à produire ses films. Après, son opinion sur le cinéma japonais est assez personnelle et lui appartient vraiment. Mais moi, j’aime plus Naruse !
Avez-vous un dernier mot pour les lecteurs d’East Asia ?
J’ai juste envie de dire que j’aime beaucoup ce genre de petit festival.
Propos recueillis par Victor Lopez le 25 novembre 2011 à Paris dans le cadre de Kinotayo 2011, le Festival du cinéma japonais contemporain.