Kora est un beau petit film. Le genre de voyage qu’on aime faire en allant dans une salle de cinéma. Suivre le périple de Zhang Shuaho de la Chine au Tibet est douloureux. La route est longue. Comme souvent, le cheminement est aussi intérieur. Par Jérémy Coifman.
Zhang Shuaho est un personnage à jamais marqué par la mort de son frère, son modèle. Le côté abrupt de l’évènement est très bien rendu dans l’introduction, Zhang Shuaho est frappé en plein cœur, et le côté complètement déraisonné de son entreprise future prend ici tout son sens. Le voyage est plus qu’un doux rêve que son frère couchait sur le papier de son journal intime, c’est un besoin primaire, viscéral. Il doit y aller. Sous peine de ne pas pouvoir continuer de vivre.
Qu’il soit totalement inexpérimenté n’est pas un problème pour lui, il ira au bout quoi qu’il arrive. Pour son frère, il va aller là où il ne pensait jamais aller. Il connaîtra la douleur, la fatigue, la désolation. Les routes sont sinueuses, piégeuses, chaque inattention peut conduire à la mort. L’impression d’assister à un road movie classique se fait vite sentir, mais le classicisme du film en fait ici sa force. Le chemin de Zhang Shuaho sera fait de rencontres, qui lui feront voir le monde autrement. Du Jiayi, le réalisateur, réussit avec ces scènes de bien beaux moments de cinéma. Il arrive à capter des instants surprenants ou tendres. On entrevoit la détresse d’une jeune veuve, la longue vie difficile d’une vieille femme, les rêves brisés d’un homme adepte de bonne cuisine, tout cela en un instant, un plan, un regard. Même si l’on a vu des dizaines de fois, cela fonctionne à merveille. C’est authentique, donnant l’impression d’assister à des instants rares, presque magiques.
Kora est remplit de mélancolie. Elle est enfouie. On voit les routes sinistrées du Tibet, les petits villages loin de l’agitation. La douleur n’est pas que dans le cœur du personnage principal, elle est à chaque détour, chaque regard croisé, chaque plan sur des étendues désertiques. C’est cela la grande force du film, cette douloureuse mélancolie qui s’insinue à chaque plan. Le Tibet souffre, c’est dit à demi-mot, mais on le sent.
Puis le film bascule dans une sorte de cauchemar métaphysique, où le personnage fait face à ses démons. Esthétiquement, c’est très réussi. Du Jiayi parvient à rendre palpable la détresse tant physique qu’émotionnelle de Zhang Shuaho. On retrouve la conviction qui caractérise le personnage, son besoin d’aller au bout, sous peine de tout perdre. Peu importe s’il se tue à la tâche ou s’il est pourchassé par ses démons (littéralement). La nature est plus forte que lui, il le sait, et cette acceptation est magnifique. Il perd toute rationalité. Il s’abandonne totalement. Seule l’issue compte. Quand il sera au point culminant du Tibet, il pourra de nouveau respirer.
Verdict :
On voyage, on découvre, on respire. C’est parfois maladroit, mais toujours sincère. Un bon road movie, c’est cela. Oui, décidément Kora est un beau petit film.
Kora (转山) de Du Jiayi sera projeté du 14 Mai au 12 Juin 2012 dans le cadre du Festival du Cinéma chinois en France.