LIVRE – Bong Joon-ho, désordre social de Erwan Desbois

Posté le 22 décembre 2025 par

Analyse du metteur en scène sud-coréen, Bong Joon-ho,désordre social trouve naturellement sa place au sein de la collection Playlist Society dans un essai complet et accessible qui regarde sa filmographie à travers ses récurrences et ses obsessions.

Depuis le triomphe de Parasite, le cinéma sud-coréen connaît un engouement qui ne semble pas faiblir – contrairement à sa production cinématographique, ces dernières années – dont Bong Joon-ho est une des figures majeures depuis deux décennies.

Cet essai d’Erwan Desbois est un nouvel ajout aux nombreux ouvrages consacrés au travail du cinéaste, paru au cours des six dernières années, alors même que Bong Joon-ho s’est fait discret. Son dernier film, Mickey 17 – le premier depuis Parasite – est sorti au printemps 2025 après avoir été repoussé à deux reprises, cultivant ainsi une attente auprès de ses fidèles – et laissant aux nouveaux venus, le temps  de se mettre à jour – impatients de découvrir la nouvelle ligne de récit du commentaire politique et social qui abonde l’ensemble de l’œuvre du réalisateur.

La qualité de la collection Playlist Society réside dans la volonté de proposer des essais spécialisés d’une bonne tenue analytique, tout en restant accessible au plus grand nombre, des amateurs chevronnés aux cinéphiles en herbe. L’ouvrage d’Erwan Desbois se place dans la lignée de cette ambition. En s’appuyant sur des références de la littérature existante consacrée au cinéma coréen – Antoine Coppola en premier lieu, ce qui n’est jamais une mauvaise idée – Bong Joon-ho, désordre social fait un examen complet des films du réalisateur, de ses premiers courts-métrages à son plus récent long-métrage en passant par ses crédits de scénariste et de producteur. De là, il sonde l’âme – en colère – et le cœur – souvent sombre – de son cinéma, afin de remonter le fil des thématiques récurrentes qui le parsème.

La structure de ce petit concentré est judicieux et met en valeur la clarté de la plume d’Erwan Desbois, tout comme son sens du didactisme dans la manière de développer les motifs par l’utilisation d’exemples détaillés et de citations contextualisées. L’ouvrage bénéficie d’une grande lisibilité dans l’angle choisi par son auteur. Aucune des influences les plus revendiquées du cinéaste ne manquent à l’appel – Chabrol, Clouzot, Alan Moore, Kim Ki-young – sans, pour autant, noyer le lecteur sous les informations. Et de recentrer, toujours, sur l’œuvre même de Bong Joon-ho, dont la subtilité ou le symbolisme ne nous laisse jamais méprendre sur l’intention du propos. Un style simple et fluide est privilégié pour cette démonstration axée sur la manière dont le cinéaste utilise la mise en image pour incarner sa vision politique, désabusée, de son pays.

La volonté de concision et de clarté qui anime l’essai est sa plus grande qualité, en ce qu’il peut s’adresser à tous. Elle entraîne également quelques frustrations. L’introduction survolant l’histoire complexe de la Corée et de son cinéma est quelque peu expéditive, voire un peu simpliste. En plaçant les cinéastes de la génération 386 comme les quasi-fondateurs de la veine revendicatrice du cinéma coréen, l’essai donne l’impression de réduire toutes les productions antérieures à un bloc mélodramatique, étouffé par la propagande des régimes successifs. La réalité est plus complexe et si Bong Joon-ho est une des voix actuelles les plus fortes, il vient – aux côtés d’autres cinéastes coréens tout aussi engagés – en écho à la génération qui les a précédé.  Néanmoins, on pardonnera ces raccourcis, le livre ne cherchant pas à être un ouvrage exhaustif sur le cinéma coréen. L’analyse contient des points de réflexion très intéressants, certains déjà observés à maintes reprises, d’autres plus en sous-texte – tels que la sexualité des personnages chez Bong Joon-ho. L’essai se conclut sur Mickey 17 dont le commentaire fonctionne davantage comme un addendum rédigé à la marge qu’à une section s’intégrant totalement dans le reste des chapitres. Aussi, Bong Joon-ho, désordre social semble s’achever sur trois points de suspension… ce que ne renierait pas son sujet.

L’ouvrage d’Erwan Desbois propose un éclairage pertinent sur le cinéaste et ne laisse aucun film de côté – l’inclusion de Sea Fog, souvent oublié bien qu’il soit une pièce maîtresse de la filmographie de Bong Joon-ho, fait particulièrement plaisir. Les connaisseurs ne feront sans doute pas de grandes découvertes mais ne manqueront pas d’apprécier le soin apporté aux analyses mêlant fond et forme. Quant aux curieux, débutants ou néophytes, ils disposent ici d’une solide introduction au travail de Bong Joon-ho pour appréhender la suite de son œuvre et, espérons-le, un point d’entrée sur les obsessions du cinéma sud-coréen qui donnera envie d’aller plus loin.

Claire Lalaut.

Bong Joon-ho, désordre social par Erwan Desbois. Paru le 23 septembre 2025 chez Playlist Society.