FFHKP 2025 – The Secret d’Ann Hui

Posté le 17 novembre 2025 par

Cette année, le Festival du Film Hongkongais de Paris (FFHKP) était l’occasion de (re)voir The Secret (1979) d’Ann Hui dans une magnifique copie restaurée par la Hong Kong Film Archive, incluant des scènes absentes de la version d’origine. Un polar inestimable de la fin des années 1970 hongkongaises.

Il s’agit là, ni plus ni moins que du premier film d’Ann Hui, qui fait suite à ses débuts sur le petit écran avec des séries comme Below the Lion Rock dans laquelle nombres de cinéastes de la « nouvelle vague » ont fait leurs armes. Ce premier film inaugure déjà les fondations du courant cinématographique à venir, à commencer par le réalisme assourdissant des enjeux criminels. L’intrigue reprend une histoire vraie ayant secoué Hong Kong au début des années 1970, lorsque deux corps d’un couple sont retrouvés dans une forêt du mont Lung Fu et qu’une enquête pour double meurtre est ouverte. Cette affaire avait déjà été portée à la télévision en 1975 dans un épisode de la série anthologique 十大奇案, soit Les Dix grandes affaires mystérieuses, programme précurseur qui a nourri très tôt l’intérêt du public hongkongais pour le true crime.

Dans des circonstances thématiques et stylistiques similaires, on pourrait dire que The Secret amorce des propositions d’auteur futures comme L’Enfer des armes de Tsui Hark ou The Happenings de Yim Ho. La même violence par convulsion, les mêmes personnages torturés socialement, les mêmes fractures morales et symptomatiques de la modernité. Mais Ann Hui conduit un exercice de style finalement très singulier pour l’époque. Loin des standards populaires, la structure narrative fait d’abord montre d’une recherche poussée, presque procédurale du circuit des évènements. La trame principale se déroule dans le présent, avec le personnage de Sylvia Chang découvrant peu à peu les mystères autour de ce meurtre abjecte, mais toute une partie du récit est racontée par flashback auprès de l’homme et de la femme assassinés. Ces retours en arrière interviennent irrégulièrement, sans même prévenir que nous regardons maintenant une fenêtre ouverte sur le passé. Ann Hui cultive une affinité pour les temporalités dyschroniques qui brouillent le tissu narratif et connectent à l’image les récits de deux époques. La démarche est déroutante mais tout à fait volontaire, de même pour le personnage de Sylvia Chang qui ressemble beaucoup et de façon délibérée (cheveux, vêtements, regards) à la femme assassinée dont elle retrace le parcours.

Deux décennies avant Visible Secret (2001), Ann Hui réalise de la sorte (et en quelque sorte) son premier film de fantôme. Les temporalités interconnectées, la présence hantée de la défunte dans le dédale du village donnent corps à cet environnement nocturne profondément angoissant. Angoissant parce que le lieu semble labyrinthique et en décalage avec la réalité mais aussi parce qu’Ann Hui n’en oublie pas de l’imprégner de marqueurs sociaux. L’horreur se retrouve dans l’insalubrité des bâtisses, dans les relations familiales toxiques ou le danger pour une femme d’arpenter ces ruelles seule la nuit. Comme pur film d’ambiance, The Secret est une mise en pratique exemplaire de la condition féminine au sein d’un environnement inhospitalier aux femmes (pour ne pas dire partout). Dans un second discours qui concerne cette fois-ci les troubles psychiatriques – indissociables des marqueurs sociaux introduits par le film, on ne peut s’empêcher de penser que Bong Joon-ho a certainement vu The Secret avant de réaliser Mother.

Richard Guerry.

The Secret d’Ann Hui. 1979. Hong Kong. Projeté au FFHKP 2025.