L’exil et l’identité se mêlent dans 3670, le très beau premier long-métrage de Park Joonho. Récit d’une éclosion où chacun cherche sa voie/x. C’était à découvrir au Festival du Film Coréen à Paris (FFCP).
Cheol-jun, 27 ans, a fui la Corée du Nord pour vivre au Sud. En attendant que ses parents le rejoignent, le jeune homme, gay, essaie de faire des rencontres, mais son statut particulier et sa timidité naturelle l’inhibent… jusqu’au jour où Yeong-jun, un garçon chaleureux, lui présente ses copains. C’est un nouveau monde qui s’ouvre alors à Cheol-jun, fait d’amitiés, de coups de cœur, de soirées endiablées… et parfois, de désillusion.

En abordant deux tabous de la société coréenne, les réfugiés nord-coréens et l’homosexualité, Park Joonho entreprend son passage au long-métrage en terrain miné, tant par la complexité des sujets que par la tentation du mélodrame lugubre, voire – osons le dire – du misérabilisme. Parmi les très nombreuses qualités de 3670, l’une des principales est que le film évite tous les écueils attendus et contourne tous les pièges, ne cédant ni à la facilité, au désespoir ou au cynisme.
Au contraire, sans pour autant éluder les violences, les douleurs et les désillusions, le cinéaste tire constamment ses personnages vers la lumière et vers la grâce d’une existence entière à construire. Souvent traité dans le cadre du documentaire – notamment le remarquable travail de Jero Yun sur le sujet – la « figure » du réfugié nord-coréen aura rarement été aussi incarnée qu’elle ne l’est avec le personnage de Cheol-jun, bouleversant de vulnérabilité dans ce récit d’apprentissage où l’on montre davantage que l’on ne dit. Un choix éclairé pour un film sur les différences invisibles et une preuve – s’il en fallait – de la finesse du regard de son metteur en scène. 3670 se place au présent, laissant le passé de ses protagonistes à quelques évocations au fil de courtes scènes, et l’avenir à la discrétion de nos interprétations, évitant ainsi d’alourdir son récit.

Grâce à des idées visuelles toutes simples et très efficaces, 3670 parvient aisément à retranscrire les dilemmes liés au transfuge Cheol-jun, navigant entre deux univers. Celui de plus en plus rétréci de la cellule des réfugiés profondément bienveillante et, néanmoins coincée – dans la mélancolie sans fin de cet exil particulier d’un foyer qu’on ne reverra jamais mais que l’on peut apercevoir à quelques kilomètres, par la lunette d’un télescope – et celui qui lui apparaît, comme un océan de possibilités au contact de Yeong-jun et son cercle d’amis au sein de la communauté LGBTQUIA+ de Séoul. L’intégration, jusqu’ici envisagée dans des termes purement pragmatiques et économiques – les traces de la propagande des deux côtés de la ligne sont subtiles et néanmoins, bien présentes dans un climat de méfiance mutuelle ou de fétichisation mal placée – se fait plus pressante, dans tout ce qu’elle implique d’acquérir mais également de laisser derrière soi. Loin d’être naïf, le film ne dédouane aucune des deux communautés de leurs faiblesses et manipulations, sans les juger pour autant. Avec une intuition avisée, Park Joonho cultive une sobriété narrative, faites de parallèles et de petits symboles, qui ne vient que renforcer l’ampleur émotionnelle de son film.

Le long-métrage s’approprie son sujet sans renoncer à une forme de légèreté, explore les liens humains – amoureux et amicaux – qui se font, se défont, se fantasment ou se révèlent, avec nuance et sensibilité, observe le monde qu’il habite sans moraliser. Là où il est plus sage de pas faire entendre sa voix – de peur de révéler son origine ou son orientation – 3670 détermine de faire parler ses personnages, qu’ils expriment la réalité d’un exil en terre voisine, l’espoir d’un monde nouveau dans ses atouts et ses artifices, le rejet de celui qu’on pensait vouloir quitter, et la liberté de faire cohabiter les deux faces de son identité. Au final, 3670 fait le choix – audace quasi-politique dans un film plus engagé qu’il n’y paraît – de l’optimisme empreint de mélancolie et, surtout, de la douceur. Celle du souvenir d’un groupe de baskets d’invités amassés devant une porte d’entrée, d’un dernier échange devant un arrêt de bus, ou d’une chanson reprise dans un karaoké. Tout reste, tout passe, et tout peut recommencer.
Claire Lalaut
3670 de Park Joonho. 2025. Corée du Sud. Projeté au FFCP 2025




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