Avant le succès explosif du Syndicat du crime en 1986, Chow Yun-fat était déjà une star et occupait les premiers rôles de nombreuses productions hongkongaises. C’est le cas en 1984 de Hong Kong 1941, récit autour de l’occupation japonaise de l’île au port parfumé pendant la Seconde Guerre mondiale. Il s’agit de l’un des deux films du réalisateur britannique Leong Po-chih à ressortir en ce mois d’octobre en Blu-ray chez Carlotta Films.

Ah Nam est amoureuse de Kang, son ami d’enfance sans le sou qui s’adonne à de la contrebande de riz. Elle désespère du mariage arrangé avec un garçon d’une riche famille que veut lui faire subir son père. Ce petit couple malheureux aura affaire, en 1941, à l’invasion de la colonie britannique par l’armée impériale japonaise… Sur leur route miséreuse, ils feront la rencontre de Fai, un acteur au chômage et alors, s’installera un drôle de triangle dans le chaos de l’occupation.
Les films hongkongais se situant dans le cadre de l’occupation japonaise de Hong Kong ne sont finalement pas extrêmement courants. On pense toutefois, à la même époque que Hong Kong 1941, à Love in a Fallen City d’Ann Hui (avec lui aussi Chow Yun-fat au casting). La comparaison est intéressante : le film d’Ann Hui est à la fois beaucoup plus mélodramatique dans sa facette romantique et beaucoup plus spectaculaire dans ses scènes guerrières ; pourrait-on dire qu’il est généreux en matière d’émotion et de tension violente. Le film de Leong Po-chih se révèle être davantage un travail d’écriture d’un triangle amoureux, en accolant à lui diverses thématiques, telles que le rôle des migrants chinois du continent, la défaite physique et morale des colons britanniques, l’existence de hongkongais collaborateurs… Ces sujets sont donc assez rares dans le cinéma hongkongais évoquant cette période trouble, d’autant plus dans un film qui ne lorgne pas d’abord vers l’actioner ou le pastiche et qui peut alors les traiter avec la hauteur voulue – on pourra seulement regretter que ces thématiques restent survolées, au profit de l’écriture dense du trio Ah Nam, Kang et Fai.

Hong Kong 1941 est avant tout le portrait enflammé d’une jeunesse, celle qui rêve encore en plein risque de destruction. Fai (Chow Yun-fat) est un migrant chinois qui exerce le métier d’acteur – ce qui présuppose qu’il fait montre d’ambition en matière de succès ou qu’a minima, il s’est trouvé une vocation. Ah Nam (Cecila Yip), elle, a tout simplement trouvé l’homme de sa vie et son désespoir a commencé avant l’arrivée des Japonais : son père, pris dans les rouages de traditions détestables, ne veut pas lui laisser le choix de son futur mari et lui promet une vie de bonne épouse devant rester à sa place. La qualité de son écriture réside dans l’exploration des troubles pathologiques que lui provoquent une telle situation – évanouissements et crises de panique surviennent à plusieurs endroits du film (Leong Po-chih évoque l’épilepsie), et ce dès l’ouverture. Kang (Alex Man) n’est pas tellement un rêveur mais plutôt un bon vivant : toujours le sourire au lèvre, aventureux quitte à risquer de se mettre dans de mauvaises situations, il permet à Ah Nam d’observer un horizon meilleur. L’arrivée des Japonais va rebattre les cartes de tout ce monde et, peut-être, les faire revoir leurs plans, et sacrifier quelque chose.

In fine, Hong Kong 1941 raconte comment les menaces extérieures influent sur les individus comme système. Nous disions plus haut que des sujets à portée historique présents dans le film étaient survolés, c’est vrai. Il demeure un intérêt à leur intervention, même fine : ils ponctuent le récit d’embûches pour nos héros et articulent de manière plus complexe la façon dont ils se répondent les uns les autres. Le fait qu’il s’agisse de situations à portée sociale (les migrants), politique (la faillite de l’administrateur) ou historique (la collaboration) renvoient à un imaginaire d’une certaine gravité. Ainsi, le danger qui les menace devient tangible, de telle sorte que la fonction dramatique du film s’active à plein régime.

Avec des sujets « originaux » et un traitement porté sur l’écriture de jeune gens face à leur destin dans les affres de l’Histoire, Hong Kong 1941 parvient à restituer un récit prenant et concernant pour les spectateurs, en même temps qu’il interroge ou réinterroge le public sur certains faits historiques. Nous restons tout de même dans le cinéma de Hong Kong, tous ces éléments vont toujours de pair avec quelques scènes d’action chorégraphiées bien senties pour rendre le tout divertissant, et notamment celles concernant le Général japonais et le final aussi spectaculaire que tragique sur la mer.
BONUS
Interview carrière de Leong Po-chih (archive 2023 de Frédéric Ambroisine, 22 min). Entretien réalisé au Far East Film Festival d’Udine, évènement durant lequel il a donné une rare conférence, Leong Po-chih peut compter sur l’érudition de son interviewer pour brasser tous les aspects de sa carrière, de ses débuts à la télévision, à la BBC de Londres puis à la TVB de Hong Kong, ainsi que les segments hongkongais, britanniques et américains de sa filmographie. L’interview est parsemée de faits précis intervenus durant les productions des films de Leong Po-chih, y compris des évènements très personnels pour lui. Comme d’accoutumée, le montage des archives de Fred Ambroisine contient une riche iconographie pendant le flot de paroles : affiches, photos des films ou personnalités cités, ce qui ne gâche rien au plaisir.
Masterclass de Leong Po-chih au Far East Film Festival (archive 2023 de Frédéric Ambroisine, 21 min). Le réalisateur revient plus en détails sur le tournage et le sous-texte de Hong Kong 1941, avec quelques détours dans la conversation sur son début de carrière et le documentaire sur le rétrocession qu’il a réalisé en 1997 pour la BBC.
Tony Rayns à propos de Hong Kong 1941 (30 min). Le spécialiste britannique des cinémas sinophones nous fournit d’innombrables informations sur le réalisateur, les acteurs et le lien que le film entretien avec l’histoire de Hong Kong dans les années 1940, faisant de ce module une mine d’or.
Interviews d’époques de Chow Yun-fat (13 min), Cecilia Yip (11 min) et Paul Chun (8 min). Alors que les interviews des deux derniers ont pour sujet directement Hong Kong 1941, peut-être à la suite d’une sortie DVD anglo-saxonne au début des années 2000, et permettent d’obtenir l’angle de vue des acteurs sur le film, celle de Chow Yun-fat revient sur sa stature de célébrité, qu’il évoque avec modestie mais une certaine suavité. Ces capsules temporelles permettent d’écouter de grands acteurs de Hong Kong, stars ou seconds couteaux de qualité, non sans déplaisir.
Maxime Bauer.
Hong Kong 1941 de Leong Po-chih. 1984. Hong Kong. Disponible en Blu-ray chez Carlotta Films le 21/10/2025.




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