ETRANGE FESTIVAL 2025 – The Last Woman on Earth de Lee Jong-min et Yeum Moon-kyong

Posté le 20 septembre 2025 par

Parmi les films coréens montrés lors de ce 31e Etrange Festival, il en est un qui se distingue par son incongruité : The Last Woman On Earth de Lee Jong-min et Yeun Moon-kyong. Au milieu d’une production coréenne connue pour son goût de la maîtrise parfois jusqu’à s’en corseter, le film de ce duo se veut résolument libre et rebelle, conscient de ses limites mais les assumant pleinement. C’est un film éminemment réjouissant sur un sujet pourtant sérieux : ce que des réalisateurs s’autorisent au nom du cinéma. Dans un cours d’écriture de scénario, un jeune homme pas tout à fait déconstruit se rapproche d’une jeune fille aux cheveux bleus qui écrit un film de science fiction nihiliste et qualifié de misandre.

Sur ce postulat de comédie romantique, les deux réalisateurs, également scénaristes, producteurs et interprètes des rôles principaux, nous racontent la difficulté d’écrire un scénario mais aussi la difficile réconciliation avec les réalisateurs vieillissants qui se sont crus tout permis au sommet de leur gloire et la difficulté que peut représenter le désir de concilier éthique et amour du cinéma. Le film s’ouvre comme un pastiche de science fiction à l’esthétique très Jean-Claude Forest, avant de basculer dans la comédie réaliste puis de muter encore au fur et à mesure qu’il révèle son véritable sujet. Les réalisateurs affirment qu’il s’agit « d’un film de science fiction, d’horreur, d’animation, d’action apocalyptique, un documentaire musical, une comédie noire antiromantique sur les questions liées aux femmes », et promettent « des coups de feu, des couteaux, des extraterrestres, des chats, des humains, des étoiles de mer et même la fin du monde dans un véritable blockbuster au budget incroyablement faible ». Etrangement, ils tiennent assez bien parole.

Le film est souvent drôle mais prend vraiment son sujet au sérieux. Les réécritures de film servent à illustrer les frustrations  et les blocages des protagonistes, comme dans une version plus fantasque encore du Magnifique de Philippe de Broca. Plus le film avance et plus le personnage de la jeune fille aux cheveux bleus et au couteau à la main prend de l’épaisseur, de la même façon que le jeune homme qui fait initialement (de façon très volontaire de la part des auteurs) très mauvaise impression évolue au fur et à mesure du film. Le film est rythmé par les surgissements de leurs films : son film à elle, de science fiction, sur la rancœur que développe nécessairement une femme dans un monde d’homme qui la réduit au statut de poupée sexuelle, et son film à lui, un film de vengeance simpliste sur un jeune homme qui se venge de son ancien mentor. A la fin du film, après le parasitage parfois hilarant du projet de l’un par l’autre, et réciproquement, les films fusionnent en une forme nouvelle qui joue sur les codes du mockumentaire

Le film est souvent acide,  avec une héroïne qui essaye perpétuellement de s’émanciper du regard masculin, de façon plus ou moins subtile (ce n’est pas pour rien qu’elle joue perpétuellement avec un couteau et qu’on nous suggère que ce qu’on a vu de son film est déjà bien censuré par rapport à ses désirs cathartiques). Le personnage masculin n’est pas très sympathique au départ, mais plus le film évolue et plus on se rend compte qu’il est avant tout très autocentré et ne s’est jamais posé certaines questions, ce qui permet de développer son personnage au fur et à mesure. Dans les histoires qu’ils racontent, on retrouve le même antagoniste, figure plus âgée avec lequel, chacun à sa façon, essaye de régler des comptes.

Il est impossible de parler du deuxième vrai grand mouvement du film sans en révéler les secrets. Nous allons donc ici aborder un aspect qui, bien que présent dans le sous-texte, devient le vrai sujet du film une fois sorti de l’ombre : cet homme que le jeune homme rêve de tuer et qui est le savant fou irresponsable du film de la jeune femme est un réalisateur célèbre ; il a connu la gloire en volant les idées du garçon et a convaincu la jeune femme de tourner une scène osée, en ne respectant aucune des garanties qu’il lui avait données, détruisant sa vie au point qu’elle soit obligée de changer de nom. On pense bien sûr à un mélange de différents réalisateurs coréens, comme Kim Ki-Duk et Jang Sun-woo, pour leur attitude parfois questionnable vis-à-vis des acteurs qui ont croisé leur route, et la personnalité du vieux mentor pourrait évoquer encore d’autres figures connues, cachées derrière les excuses « c’était une autre époque » et « ce n’est pas interdit par la loi« . Mais son film est un film de science fiction, ce qui indique clairement qu’il ne vise pas une personne en particulier, mais les dérives d’un système. C’est un film qui réfléchit sur les limites, mais ce n’est pas un pamphlet.

Malgré ce sujet sérieux, le film est avant tout un acte de foi dans le cinéma, le discours ne jette pas l’œuvre avec la crasse du réalisateur, il demande juste de chercher à faire mieux. Et le geste créatif, parfois maladroitement, puisque c’est un premier film, qui plus est conscient de son budget et de sa faible diffusion (il se permet même de mettre la question en abyme), mais toujours avec sincérité, essaye d’étreindre tous les possibles du cinéma, avec des changements de formats, de genres, de techniques, extrêmement ludiques. La dernière scène fait forcément penser à sa façon à celle de Why Don’t You Play in Hell? de Sono Sion mais en plus optimiste, avec une touche de Gondry. C’est un film imparfait mais oh combien sympathique, humain et fragile comme ses protagonistes, un peu amer quant au passé, mais convaincu de son avenir. Et puis, comment dire non à un film où apparaît un kaiju étoile de mer ?

Florent Dichy

The Last Woman on Earth de Lee Jong-min et Yeum Moon-kyong. Corée du Sud. 2025. Projeté lors de L’Etrange Festival 2025