EN SALLES – Princesse Mononoké de Miyazaki Hayao

Posté le 23 août 2025 par

Wild Bunch ressort en salle cette semaine (en Imax et restauration 4K) le légendaire Princesse Mononoké de Miyazaki Hayao, fresque sombre et épique constituant un accomplissement thématique et formel du réalisateur avant la reconnaissance internationale.

Ashitaka, le prince de la tribu des Emishis, est frappé d’une malédiction après avoir tué un dieu sanglier devenu démon. La chamane du village le dit condamné à mourir et lui conseille de quitter le village afin d’aller chercher à l’ouest la cause de la colère de la nature et l’espoir de trouver la raison de sa malédiction. Il se retrouve mêlé à une guerre entre les esprits de la forêt, animaux gigantesques et doués de parole (auxquels il faut ajouter San, la princesse Mononoké élevée par la louve Moro), et Dame Eboshi, dirigeante du village des forges qui exploite la forêt…

Au moment de réaliser Princesse Mononoké, Miyazaki Hayao pense signer là son ultime film et testament cinématographique. Le réalisateur semble alors avoir relevé tous les défis qu’il s’était fixé. En fondant le Studio Ghibli, il a su imposer une structure lui laissant toute latitude créative et ayant imposé de nouveaux standards de qualité dans le paysage de l’animation japonaise. Il y affinera son art en sachant le faire évoluer d’une veine allant de l’épique (Nausicaa, Le Château dans le Ciel) à un intimisme sensible (Mon voisin Totoro, Kiki la petite sorcière), ainsi qu’une maturité et mélancolie plus adulte sur Porco Rosso (1992). La relève du studio est également assurée par le brillant Kondo Yoshifumi qui s’est montré digne du maître avec son merveilleux premier film Si tu tends l’oreille (1995). Miyazaki semble ainsi avoir tout mis dans ce supposé dernier film. On retrouve ici par le prisme de la grande épopée les thématiques principales de l’auteur comme l’écologie et plus précisément l’opposition entre nature et modernité, la coexistence entre l’homme, son environnement et ses traditions. Tous ces questionnements s’articulent dans un Japon médiéval et mythologique où cohabitent encore douloureusement humains et Dieux.  Dans ce qui est sans doute son film le plus sombre, Miyazaki montre comme inéluctable l’opposition de ces deux forces.

Le drame naît de la malédiction dont est victime le héros Ashitaka en défendant son village d’un dieu sanglier devenu démon. La déité a ainsi muté après avoir été blessée par balle et perdue la raison, renfermant toute sa rancœur et sa haine des hommes dans la douloureuse blessure infligée à Ashitaka. En remontant la piste de la bête qui a causé sa perte, il va découvrir à une échelle plus vaste un conflit dans lequel chaque partie a des motifs justifiés dans son attitude. D’un côté Dame Eboshi gère des forges qui font vivre tout un village et dont l’extension nécessite une exploitation de plus en plus vaste des ressources de la forêt. Voyant ainsi leur territoire se restreindre, leur pouvoir s’amenuiser, les créatures et déités ancestrales livrent une guerre sans merci à la maîtresse des forges. Pour montrer l’aspect insoluble de cette opposition, Miyazaki montre sous leur meilleur jour le quotidien humains et la vie de la forêt. Son féminisme ressurgit à travers le personnage de Dame Eboshi et la place accordée aux femmes dans le fonctionnement de la forge, celles-ci ayant accueillie et rassemblés les plus faibles et démunis pour créer un cadre solidaire et prospère qu’on découvre ici avec une chaleur palpable dans les vignettes enjouées qui parcourent la description.

Quant à la forêt, la première traversée par Ashitaka est un instant de magie pure où cette nature devient un personnage à part entière grouillant de vie, de faune luxuriante et de créatures étranges tels les sylvains guidant notre héros dans son trajet. Cette vision teintée de religion animiste culmine avec l’apparition contemplative et hypnotique du Dieu Cerf dont le regard doux et bienveillant semble réunir tout le salut et savoir contenu par cette forêt à préserver. Miyazaki livre une version plus aboutie de son déjà grandiose Nausicaa avec notamment à nouveau une héroïne prise entre deux feux, ici avec San humaine élevée parmi les loups et partagée entre ses sentiments pour Ashitaka et sa haine de Dame Eboshi et ceux qui saccagent la forêt. Le souffle épique et la puissante solennité dégagée par l’ensemble se trouve encore décuplée par la partition magistrale de Joe Hisaishi qui offre son score le plus abouti pour Miyazaki. Cette musique illustre également le virage du réalisateur vers une imagerie plus baignée de culture japonaise qu’occidentale (ce que confirmera Le Voyage de Chihiro à venir), où les thèmes symphoniques majestueux se mêlent à des sonorités plus excentriques et étranges, emprunts de la spiritualité véhiculée par le film.

Le final est à la fois résigné et teinté d’un mince espoir. La cupidité des hommes et la violence incontrôlable des animaux (ce retour à l’état animal stupide étant causée par la perte de ce patrimoine) ira jusqu’à toucher le Dieu Cerf dans une conclusion destructrice et symbole de recommencement. L’ère moderne et le temps des hommes est venu, et désormais l’héritage des dieux n’a plus sa place au sein d’une entité tangible mais nous entoure par cette nature qu’il ne faut cesser de préserver. Miyazaki rejoint là le John Boorman d’Excalibur dans sa réflexion (voire le Tolkien du Seigneur des Anneaux on connaît l’influence de la littérature et des mythes occidentaux chez Miyazaki parfaitement assimilés), la magie est bien morte mais ne cesse cependant de nous entourer. La scission est pourtant inéluctable et consommée entre le monde des hommes et celui des bêtes, et le monde industriel naissant évoqué dans le film ne cessera de s’étendre. Ce constat amer est tempéré par les touchants adieux entre San et Ashitaka qui font néanmoins quitter cet univers sur une note heureuse.

La mort inattendue du successeur annoncé Kondo Yoshifumi obligea finalement Miyazaki à revoir sa décision de retraite – ce ne sera pas la dernière fois.  Alors qu’il semblait avoir tout dit, il se renouvellerait miraculeusement loin du bruit et de la fureur de Princesse Mononoké en adoptant le point de vue d’une petite fille dans Le Voyage de Chihiro, le film de la reconnaissance internationale.

Justin Kwedi.

Princesse Mononoké de Miyazaki Hayao. Japon. 1997. En salles le 20/08/2025.