Réalisateur du célèbre Couvent de la bête sacrée, Suzuki Norifumi est un cinéaste très prolixe, grande figure de la Daiei, dans des films de genres très différents. Le Chat qui fume a choisi de présenter son unique film pour la Nikkatsu, le très sulfureux Star of David : Vices et Sévices (connu aussi sous le nom de Beautiful Girl Hunter et de Vices et Sévices).
Une nuit, à Tokyo, un violeur s’introduit dans une maison cossue et viole la femme sous les yeux du mari. Quelques mois plus tard nait l’enfant de ce crime, Tatsuya. Devenu adulte, conscient de son terrible secret, il consacre sa vie à enlever des femmes pour les torturer et les violer dans une chapelle cachée sous sa maison, partagé entre sa fascination sexuelle pour les crimes nazis et son trouble face à sa très pure amie d’enfance.
Star of David est au départ le nom d’un manga des années 1970, adapté depuis en de nombreux OAV. La noirceur de l’œuvre a persuadé Suzuki d’en faire un film, sorte de suite dégénérée du Couvent de la bête sacrée, mais la Daiei a refusé le projet. En 1979, la Nikkatsu annonce l’adaptation, le réalisateur étant pour ce seul film prêté au studio pour réaliser un fleuron du Roman Porno, mais avec un budget de film familial et 1h40 afin de développer sa folie. On conserve du genre la présence du sexe, dans des formes toujours plus étranges – on passe des assez classiques cordes et chaines à des scènes d’urination, que Suzuki avait rendu mainstream avec Le Pensionnat des jeunes filles perverses, pour arriver à des excentricités incluant un chien et du beurre, des cadavres, des devoirs de mathématiques, etc. On en conserve également la liberté de ton, mais le film a d’autres ambitions, avec son nihilisme radical.
Le personnage de Tetsuya est un ancêtre du héros d’American Psycho, dandy malfaisant et sadique, mais c’est aussi le descendant symbolique de l’antagoniste du Couvent de la bête sacrée, rejeton monstrueux de la guerre, dédiant sa vie à une permanente dégradation de tout ce qui pourrait être source d’optimisme, perpétuellement occupé à briser l’esprit de ses proies par des plans aussi compliqués qu’étranges. On retrouve également de ce précédent film le rapport ambigu à la Seconde Guerre mondiale, mais présentée ici de la façon la plus étrange possible, car, au delà de l’image de l’étoile de David comme stigmate, il faut bien signaler ce pour quoi ce film est connu, une aberrante scène d’éjaculation sur des livres d’histoires des crimes de la Seconde Guerre. Contrairement à ce que les photos de promotion essaient de faire croire, il ne s’agit pas d’un film de nazisploitation avec des femmes sadiques en uniforme ; le nazisme est surtout utilisé comme signe ultime de la déchéance du personnage, fasciné par un occidentalisme déviant mélangeant le Marquis de Sade à un décorum chrétien servant de fond à ses crimes (comme si, en Don Juan nécrosé, il essayait d’obliger Dieu à intervenir en ne faisant le mal que sous le regard du Christ (et il y aurait aussi beaucoup à dire sur la scène qui se passe en présence de la vierge).
La photographie mélange des décors idylliques laiteux dans une esthétique qui rappelle un peu House, et le gothisme coloré du lieu des sévices arbore des couleurs qui ne seraient pas reniées par un criminel de giallo. La musique utilise le classique pour contribuer à en pervertir la beauté. Le protagoniste est incarné par un acteur à l’allure étrange, beau garçon mais au jeu un peu absent, qui convient bien au personnage perdu dans son monde absurde, avec un corps très sec, qui n’a pas fait carrière ; la pure héroïne est jouée par une actrice dont ce film semble être l’unique prestation, mais les pères, et les victimes sont des visages connus des studios. Pour les curieux, Sugawara Bunta apparait même dans le film, dans son rôle des Torraku Yaro, qui prend en stop le géniteur violeur en cavale (apparemment les studios ne l’ont pas prévenu, il croyait jouer une scène d’un Torraku Yaro, réalisé par Suzuki pour la Daiei, ignorant qu’il se trouvait en fait dans un pinku de la Nikkatsu…). Dans l’ensemble, les prestations sont solides, dans le genre stylisé qui correspond au Roman Porno.
Étrangement, le film choisit d’être encore plus déviant que le manga d’origine, avec un incroyable final qui s’amuse à rendre encore plus folle la relation entre le héros et son amie d’enfance, qui joue sur la thématique du bien contre le mal pour permettre un instant de croire qu’un optimisme naïf va triompher (de la façon la plus paradoxale et absurde possible) avant une ultime révélation qui s’assoie sur les quelques restes de philanthropie que le film proposait (rappelons qu’il s’agit d’un film où le héros est tellement maléfique qu’il écrit son journal en allemand, littéralement tout y est possible). De la femme qui découvre le plaisir lors de son viol au notable changé en monstre en passant par l’étudiante pervertie et à l’assistante d’idol montée contre son employeuse, le film prend le temps de s’en prendre au plus large panel social, tout en couvrant un maximum de perversion, avec un rapport particulier à l’inceste et à la gestion rock n’ roll de son Œdipe… C’est un film qui est volontairement difficile à aimer, qui travaille à devenir sans cesse plus gênant, mais c’est aussi un film fascinant, un fleuron du genre, et pleinement un film d’auteur où l’on retrouve les obsessions de Suzuki Norifumi, qui vaut la peine d’être vu, dans sa provocation grand-guignolesque radicale et métaphysique.
Édition Blu-ray :
La copie est très belle, et rend parfaitement l’extravagance du film, avec des couleurs somptueuses et un grain argentique respecté. La piste DTS-MA est également très solide. Le principal bonus est un très intéressant entretien avec Clément Rauger de 30min où il revient sur l’histoire du genre et la carrière du réalisateur, ainsi que la genèse spécifique de ce projet. On retrouve aussi une série de bande annonces sur les autres sorties asiatiques du Chat qui fume. Enfin, sous sa couverture cartonnée, le film propose la jaquette originelle japonaise, et un petit livret de photos de production.
Florent Dichy.
Star of David : Vices et Sévices de Suzuki Norifumi. Japon. 1979. Disponible en Blu-ray chez Le Chat qui fume.