EN SALLES – Confusion chez Confucius d’Edward Yang

Posté le 16 juillet 2025 par

Carlotta Films ressort en salles cette semaine Confusion chez Confucius d’Edward Yang, œuvre atypique du réalisateur qui nous promène dans l’urgence d’une jeunesse taïwanaise ballotée entre aspirations intimes et réussite matérielle dans la Taipei capitaliste moderne.

Taipei, la capitale de Taiwan, est une ville phare : à la croisée des chemins entre la haute technologie occidentale et les valeurs orientales, une sorte de sanctuaire pour les battants. À l’approche de la fin du XXème siècle, quel meilleur endroit pour donner naissance à une nouvelle société que Taipei, ville enracinée dans de vieux idéaux d’ordre social confucianiste et en lutte en même temps avec le stress et les tensions qu’apportent la recherche d’identité et l’apprentissage de la vie de chacun ? Pendant deux jours et demi, de jeunes gens essaient de poursuivre leurs rêves et leurs désirs.

Edward Yang avait, avec Taipei Story (1985) et The Terrorizers (1986), dépeint une Taipei en phase de transition, tant sociologiquement que dans son urbanité, entre la tradition de l »héritage chinois et la modernité occidentale et capitaliste. Après le saut dans le passé de A Brighter Summer Day (1991), Confusion chez Confucius renoue donc avec cette thématique et son cadre contemporain. Le film, à travers son récit choral, reprend les questionnements intimes et existentiels de Taipei Story et The Terrorizers tout en en changeant les perspectives. La mutation a eu lieu ; on n’oscille plus entre cadre prolétaire et nanti, entre tradition et modernité, tous les personnages que l’on suit évoluent désormais dans les hautes sphères des affaires et de la culture taïwanaise. Dès lors, le dilemme des personnages ne vient plus d’une hésitation à endosser cette modernité, mais plutôt d’y conserver ou totalement abandonner leur humanité.

Comme pour endosser le rythme de vie plus alerte de ces jeunes gens pressés, Edward Yang abandonne l’approche austère et le rythme lent de Taipei Story et The Terrorizers, et s’éloigne aussi grandement de l’état de grâce contemplatif de A Brighter Summer Day. Les dialogues cinglants fusent, le rythme se fait trépidant et surtout les personnages individualistes et caractériels font monter en épingle nombre de situations hautes en couleurs. On a un sentiment de cynisme constant où l’ambition détermine toutes les interactions entre les héros. Les fiançailles de Molly (Ni Suk Kwan) et Akeem (Wang Bosen) ne tiennent qu’au soutien financier du premier à l’entreprise de la seconde, l’auteur à succès narcissique Birdy (Wang Yeming) vise davantage la notoriété que l’art… Les amitiés se font et se défont au rythme de ce que l’on peut obtenir de l’autre (Ming détestant sa belle-mère mais celle-ci le soutiendra lorsqu’elle proposera un poste intéressant à sa fiancée).

Une certaine émotion finit malgré tout par émerger, tant la froideur de chacun semble marquer une profonde solitude. Toute l’inconséquence des personnages repose sur cette détresse enfouie comme Molly qui séduit, invective ou ignore tous ceux ayant le malheur de croiser sa route au mauvais moment. Edward Yang témoigne aussi de la disparition de l’individu, que ce soit au service des autres pour Qiqi (Chen Shiang-chyi), d’une ascète intellectuelle pour l’autre figure d’écrivain mais sans succès. Ils se sont chacun éloignés de la course à la réussite à laquelle tout leur environnement les pousse, et vont se rapprocher.

On retrouve ce travail sur la lumière et le huis-clos pour illustrer un rapprochement, mais Yang privilégiera toujours le chaos, la confusion et le conflit dès que semble s’amorcer une veine plus sentimentale. Qiqui et l’écrivain se quittent après une séquence grotesque avec un taxi, Molly et Ming s’affrontent après une nuit d’amour. Cette impossibilité au bonheur, cette impasse semble une interprétation erronée des individus des préceptes de Confucius, laissant sans perspective une fois atteint l’objectif de la réussite matérielle.

Tout dans cette urgence urbaine, cette course à la réussite, interdit le moindre sentiment sincère même si les dernières scènes (cette amitié renouée au petit matin) entrouvrent la porte à autre chose. Ce tumulte constant (Woody Allen n’est pas loin dans les moments les plus drôles) ouvre une nouvelle voie dans l’approche d’Edward Yang mais n’est pas totalement aboutie malgré tout. On s’ennuie parfois et malgré une mise en place limpide durant laquelle l’on n’est jamais perdu dans la multiplicité des personnages, l’intérêt pour chacun est très inégal. Cela fonctionnera mieux dans  Mahjong (1996) avec lequel Yang reprendra cette frénésie urbaine et ces figures désabusées mais du côté des bas-fonds de Taipei dont il dépeindra la transformation aussi, avec un optimisme plus marqué.

Justin Kwedi

Confusion chez Confucius d’Edward Yang. Taïwan. 1994. En salle le 16/07/2025