VIDEO – Lee Rock de Lawrence Ah Mon

Posté le 27 avril 2023 par

Spectrum Films sort en édition Blu-ray le diptyque policier Lee Rock 1 et 2 de Lawrence Ah Mon, fleuron de la fresque criminelle historique en vogue dans le cinéma de Hong Kong des années 90. On s’attarde sur le premier volet, qui montre l’ascension d’une figure locale controversée.

Dans le Hong Kong des années 50 à 70, Lee Rock entre dans les forces de police. Il prend conscience de la corruption qui gangrène l’institution et ses accointances avec la mafia locale. Il refuse tout pot-de-vin et s’oppose très vite à un haut gradé de la police. Parallèlement, il tombe amoureux tout en faisant la connaissance d’un vendeur de rue qui deviendra son homme de confiance…

Lee Rock est l’un des premiers avatars d’un filon populaire dans le polar hongkongais des années 90, la fresque criminelle historique. Il y eut bien quelques tentatives plus anciennes comme le furieux Le Justicier de Shanghai de Chang Cheh, mais la facette rétro n’y était qu’un arrière-plan dans ce qui demeurait avant tout un film de kung-fu. Les productions des années 80/90 ont une ambition plus grande et s’appuient sur les grands modèles hollywoodiens que sont Le Parrain de Francis Ford Coppola (1972, 1974), Il était une fois en Amérique de Sergio Leone (1984) ou encore Scarface et Les Incorruptibles de Brian de Palma (1983, 1987). Les deux premiers grands succès du genre seront Gunmen de Kirk Wong (1988) et Le Parrain de Hong Kong de Poon Man Kit (1991). Le film de Kirk Wong penche du bon côté de la loi et s’avère un pendant des Incorruptibles tandis que Le Parrain de Hong Kong est une sorte de biopic officieux d’une vraie figure passée du crime local, le gangster Limpy Ho. Les films de cette catégorie auront justement la particularité de piocher parmi les vraies gloires passées de la péninsule, versant policier ou criminel. Lee Rock fait d’une pierre deux coups avec cette épopée narrant l’ascension de Lee Rock (anglicisme de son vrai nom Lui Lok), policier ayant débuté dans les années 40 et ayant gagné en grade et prestige jusqu’à sa retraite anticipée en 1968. Ses états de services brillants durant son activité dissimulaient pourtant un des officiers les plus corrompus des services de police, qui ne sera inquiété qu’en 1974 lorsque l’ICAC (une commission indépendante visant à éradiquer la corruption des institutions de police) s’intéressera sérieusement à son cas. Il va donc fuir le pays, vivant en toute impunité de sa fortune amassée entre le Canada et Taïwan qui ne bénéficient pas d’accord d’extradition avec Hong Kong, et ne mourra qu’en 2010 à l’âge de 89 ans. Cette personnalité hors-norme traverse d’ailleurs tout ce sous-genre de la fresque criminelle puisqu’outre Lee Rock, elle est présente dans Le Parrain de Hong Kong, Powerful Four (1991), Arrest the Restless (1992), The Prince of Temple Street (1992) de nouveau joué par Andy Lau, qui retrouvera plus tardivement le rôle dans Chasing the dragon (2017).

Au départ pensé comme un unique film, la production de Lee Rock prend de l’ampleur, les ajouts de scénarios conduisant à en faire un diptyque destiné à sortir la même année. Troisième réalisation de Lawrence Ah Mon qui, après les remarqués et engagés Gangs (1988) et Queen of Temple Street (1990), accède là à sa première superproduction. Pour le néophyte, un des éléments les plus surprenants de Lee Rock et de ces fresques criminelles hongkongaises en général, sera le portrait positif et flamboyant fait de ses gangsters. Quand Le Parrain, Scarface ou Il était une fois en Amérique dotent ses protagonistes d’un vrai charisme, c’est sans éluder les maux troubles et violents de leurs milieux, et avec l’intention d’inciter le spectateur à s’interroger. Il n’y a rien de tout cela dans le portrait romancé de Lee Rock sous les traits avenants d’Andy Lau. Migrant chinois sans éducation débarqué à Hong Kong, l’uniforme de policier est au départ pour lui une manière de s’intégrer et progresser dans une vraie volonté de droiture morale. Il détourne le regard face aux agissements de ses collègues prompts à toucher leurs pots de vin auprès de commerçants et d’entreprises frauduleuses diverses, comme les jeux d’argent, le trafic de drogue. Cette honnêteté est malheureusement une faiblesse dans un monde où il faut savoir prendre et intimider pour s’élever. Lee Rock en fait l’amère expérience dans sa vie intime lorsque son aimée Rose (Chingmy Yau) lui est interdite par ses parents car il est trop pauvre, et dans sa sphère professionnelle quand le « parrain » des policiers Ngan Tung (Paul Chun) lui fait sévèrement payer son insolence. Lee Rock se trouve donc pratiquement contraint, par les évènements et la logique implacable d’un système, à devenir lui aussi un flic pourri.

Cette complaisance tient en plusieurs éléments. Tout d’abord avec la rétrocession imminente, un souffle de nostalgie traverse Hong Kong qui fantasme ainsi sa gloire passée à travers de rutilantes reconstitutions filmées et la flamboyance accordée aux personnalités qui ont marquées ces temps révolus. L’autre raison plus concrète est tout simplement le fait que certains de ces films étaient directement financés par les triades. Lee Rock en fait partie puisque produit par le studio Win’s Entertainment fondé par les frères Charles et Jimmy Heung, liés par leur père à Sun Yee On, l’une des triades les plus puissantes de Hong Kong au sein de laquelle ils ont accédé aux plus hauts rangs.

Le film se fait donc le récit d’apprentissage d’un naïf devenu homme, d’une brebis devenue loup. La candeur et la fougue de Lee Rock grâce au charisme d’Andy Lau partage donc le spectateur entre amusement et intérêt pour son destin. Le naturel avec lequel est introduit la corruption globalisée de la police efface toute boussole morale et fait de Lee Rock le « gentil » parti de rien qui va gagner en pouvoir dans le commissariat et les rues. Sur la fin du film nous sont vantées ses capacités de stratège « formalisant » l’organisation de cette corruption, mais pour l’essentiel il se laisse porter au gré des évènements positifs ou négatifs pour lui. La manière de doter le personnage d’un certain panache passe par les scènes d’actions redoutablement efficaces mais qui occasionnent de nombreuses ruptures de ton.

Ce schisme est formel avec des morceaux de bravoure filmés par Corey Yuen et David Lai dont la brutalité et l’urgence jurent avec la caractérisation et la mise en place patiente de Lawrence Ah Mon, ainsi que le filmage élégant de la belle reconstitution du Hong Kong des années 40/50. Lee Rock est donc un film assez schizophrène dans ce qu’il raconte et la manière de le faire, tout en restant un divertissement plaisant et efficace. Le générique laisse entrevoir, par quelques images de Lee Rock 2 (qui sortira un mois après le premier volet à Hong Kong), que les choses sérieuses commenceront dans ce deuxième volet où notre héros plus mûr assume enfin ce qu’il est. À suivre.

Bonus :

Une présentation (12 min) du spécialiste du cinéma hongkongais Arnaud Lanuque et notamment auteur de l’ouvrage de référence Police vs Syndicats du crime : Les polars et films de triades dans le cinéma de Hong Kong. Il explique la tendance du polar historique dans le cinéma hongkongais de l’époque, fait le portrait de la figure de Lee Rock et s’attarde sur les aléas de production du film, que ce soit le tournage dans l’urgence, la décision de diviser en deux films, les liens des producteurs avec les triades. Un segment très intéressant.

Un longue interview (38 minutes) du réalisateur Lawrence Ah Mon qui évoque son parcours avant de s’attarder sur le projet, la manière dont il fut engagé, ses relations avec les frères Heung, la production pied au plancher finalisée en deux mois. Il parle aussi de sa relation avec Andy Lau, alors immense star et qui justement était exténué car tournant simultanément plusieurs films.

Justin Kwedi.

Lee Rock de Lawrence Ah Mon. 1991. Hong Kong. Disponible en combo DVD/Blu-Ray chez Spectrum Films le 16/02/2023.

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