CANNES 2025 – Left-Handed Girl de Shih-Ching Tsou

Posté le 26 mai 2025 par

Récompensé à la Semaine de la critique du Festival de Cannes 2025 par le prix de la Fondation Gan, Left-Handed Girl est un film solaire centré sur une famille de trois femmes : une mère célibataire et ses deux filles de 20 et 5 ans, et mettant à l’honneur l’atmosphère des marchés de nuit taipéiens. Réalisé par Shih-Ching Tsou, monté et produit par son collaborateur de longue date, l’américain Sean Baker (Palme d’Or en 2024 pour Anora), le film sortira en France prochainement via Le Pacte.

Une mère célibataire et ses deux filles arrivent à Taipei pour ouvrir une petite cantine au cœur d’un marché nocturne de la capitale taïwanaise. Chacune d’entre elles doit trouver un moyen de s’adapter à cette nouvelle vie et réussir à maintenir l’unité familiale.

D’une durée classique d’un peu moins de 2h, Left-Handed Girl est un film d’une grande richesse, qui convoque plusieurs tonalités, aussi bien qu’une certaine imagerie propre à la culture taïwanaise et vue dans d’autres films importants du cinéma de l’île. Ainsi, la fille aînée vendant des noix de bétel dans l’un de ces commerces louches misant sur la plastique de ses vendeuses, ramène au début des années 2000, avec le film Betelnut Beauty qui décrivait ce phénomène et son parfum de scandale. La scène de l’anniversaire de la grand-mère, dans un restaurant privatisé pour l’occasion, cette réunion de famille dans laquelle semble régner une distance croissante entre ses membres, n’est pas sans rappeler la fabuleuse introduction de Yi Yi, une scène de mariage aux décorations rougeâtres mais peu traditionnelles. Aussi, quelques vues de virées en moto en plein cœur de la capitale de Formose ne sont pas sans évoquer nos meilleurs souvenirs de cinéma taïwanais : Les Rebelles du dieu néon, Taipei Story, Three Times… Ces citations, qui sont finalement plutôt des expressions de la façon de vivre à la taïwanaise et qui pourraient être décrites sans forcément faire référence à ces œuvres, contribuent à un récit nourri autour de ces trois personnages principaux, toutes parfaitement caractérisées et dont chaque facette de la vie est mise à l’honneur. Ainsi, dans Left-Handed Girl, on observera leurs difficultés sociales, leurs problèmes d’argent, aussi bien qu’on rira grâce à l’écriture bien ciselée et qu’on entrera à l’intérieur des anxiétés enfantines.

C’est sans aucun doute le personnage d’I-Jing, la petite fille de 5 ans, qui procurera au spectateur le plus de plaisir. En plus d’être campée par Nina Yeh, une actrice adorable qui parvient à très bien composer malgré son très jeune âge, ce sont ses émotions et ses questionnements qui sont le plus mis en valeur. Le titre du film renvoie au fait qu’elle est gauchère et que son grand-père trouve cela « maléfique ». La cleptomanie qu’elle va développer trouvera alors une justification : c’est le mal qui va la pousser à commettre ces délits. Le dénouement de cette piste scénaristique, emmené par le personnage de sa grande sœur, se révèle extrêmement satisfaisant, car il ne tombe aucunement dans un banal discours déprimant sur la dureté de la vie. Les rôles féminins, ainsi qu’un rôle masculin, celui du nouveau compagnon de la mère, sont toutes et tous expressifs, vivants, si bien que malgré des éléments du scénario sans réelle originalité (le « twist » du repas d’anniversaire pourrait être détecté assez tôt dans le film par un spectateur avisé), le film nous emmène avec vigueur dans son univers profondément humain, et de surcroît, par son focus sur le marché de nuit, dans une certaine réalité simili-documentaire (mais pas socio-réaliste) à propos des classes populaires taïwanaises. En plus de cela, la prise de vue de cet environnement parvient à restituer une atmosphère nocturne agréable, dans laquelle on s’imagine flâner simplement en mangeant un morceau avec une boisson.

C’est peut-être cela que nous rappelle Left-Handed Girl : à une époque où le cinéma a montré des millions de vies et de scénarios à l’écran, la recherche de la disruption peut sembler vaine, mais le 7ème art peut toujours vivre grâce à la sincérité de ses auteurs pour écrire leurs personnages et leur devenir. Car dans Left-Handed Girl, on suit la vie de ces trois femmes avec beaucoup d’intérêt et de joie.

Maxime Bauer.

Left-Handed Girl de Shih-Ching Tsou. Taïwan, États-Unis. 2025. Projeté au Festival de Cannes 2025