Festival du Film de Pékin – G for Gap de Fei Long

Posté le 17 mai 2025 par

Pour l’ouverture de la reprise parisienne du Festival du Film de Pékin, c’est le 1er film de Fei Long, G for Gap qui a été choisi pour l’ouverture, en sa présence et en celle de l’actrice Hong Yue.

C’est l’histoire d’un raté  (interprété par Hu Ge vu notamment dans Le Lac aux oies sauvages) : 40 ans, binoclard, chemise sur t-shirt geek, qui écrit bénévolement des critiques à défaut de réussir à vendre un scénario, et qui vient d’être quitté par sa compagne. Après son échec à Pékin, il rentre chez ses parents dans le Sichuan où il rencontre une amie d’enfance Feng Liuliu (Gao Yuanyuan), documentariste frustrée, qui va décider de faire de lui son sujet, puis le pousser à tourner son film rêvé en faisant jouer sa mère, ayant elle-même toujours voulu être artiste. S’ensuit la mise en scène d’un double tournage, et de belles histoires de gâchis.

Cela commence comme un Woody Allen léger et cela finit en une sorte de deuxième partie de Ne coupez pas ! en remplaçant les zombies par Ozu. Wu Di, le personnage principal, représente volontairement tous les clichés du cinéphile fatigant qui abuse de la patience de ses proches et cherche à maintenir l’image qu’il avait de lui-même à l’école, quand on l’appelait Congcong. Mais déjà à cette époque ce n’était pas l’idéogramme « cong » de l’intelligence, mais celui d’un légume, pour se moquer de sa coiffure. Tous les efforts du personnage pour se justifier et se donner une importance sont cruellement piétinés par le monde qui l’entoure. L’essentiel de l’humour du début du film découle des réactions de son entourage à sa quête perpétuelle d’autojustification, même dans ce que son mode de vie a de plus ridicule. Une fois arrivé auprès de sa famille, le film prend une tournure plus tendre, la situation  n’est pas simple mais la famille est vraiment aimante ; sa sœur, aussi physique qu’il se veut intellectuel, son père, bougon mais attentif à sa façon, sa mère qui espère toujours qu’il finira par retomber sur ses pieds. Le monde autour des personnages est également planté avec un amusement attendri : de la même façon que les membres de la famille savent exactement comment réagir, et quels gestes improbables effectués en cas de dispute, le patron du père et sa femme ont des disputes à la limite de celles d’un couple de dessins animés.

Mais une fois que le public semble s’être habitué à cette forme de comédie du quotidien, le film choisit de faire apparaître le personnage de l’amie d’enfance qui va modifier son sujet par son observation. Dès la première scène des deux personnages, on sait qu’il y a quelque chose de non résolu entre eux, mais la maladresse du protagoniste et son incroyable capacité à dire ce qu’il ne faut pas au mauvais moment rend cette tension beaucoup plus compliquée qu’elle ne pourrait l’être. Alors que son amie essaie de l’utiliser pour parler de la question du retour déçu dans la ville natale (thème qu’on a pu voir cette année dans des films comme Frankensfish by the River), il ne voit dans ce projet qu’une occasion de se mettre en avant (aussi peu attentif aux questions de cadre que de contenu). Le moment de rupture vient de l’idée de le pousser à réaliser le film qu’il a écrit, et de transformer le documentaire en making of, ce qui permet au film de se renouveler. Le personnage est toujours aussi maladroit, toujours occupé à essayer de se construire une image illusoire alors que son amie essaie de capturer son authenticité, dans une fuite en avant née de l’incompréhension. Si le film reste avant tout une comédie de caractère, le récit du tournage d’une histoire sentimentale dans un style voulant imiter Ozu, avec plus de mouvements de caméra, dans des conditions plus que rudimentaires, permet G for Gap de renouveler ses enjeux, de créer un nouveau dynamisme et d’introduire de nouveaux personnages stéréotypés mais sympathiques et des situations absurdes, liées aux nombreux impensés du héros. Mais les jeux de mise en abyme permettent aussi de donner une dimension émouvante aux personnages, de révéler leur fragilité à travers l’humour.

Thématiquement le film est assez riche, il parle de la frustration de ne pas accomplir ses rêves, de la complexité des liens familiaux et de leur expression, de la façon dont certaines relations ne peuvent pas marcher, mais aussi de la manière dont le montage peut trahir la réalité. Paradoxalement, le film de fiction que filment les personnages finit par atteindre une vérité intime et profonde malgré l’absurdité de son tournage alors que le documentaire ment pour transformer ses personnages en bouffon, en ne captant que les aspects ridicules. Cette dimension ironique sert à rendre plus émouvants encore les derniers moments du film, où des personnages, sans parler  vont toucher une vraie grâce. Une scène d’embouteillage, notamment, par une mise en scène muette, représente une vraie réussite du film, dans son jeu sur l’impossible dialogue et les chemins non empruntés.

Tour à tour drôle et émouvant, d’une verve comique ou d’un silence tragique, G for Gap est une vraie réussite, qui refuse finalement de juger ses personnages. Le titre anglais original, qui figure d’ailleurs encore sur certaines affiches est Gold or Shit, ce qui correspond à l’interrogation des parents sur les capacités de leur fils. Bien entendu, nous ne verrons pas le film que les personnages tournent, et seulement quelques bribes du documentaire, c’est le tournage et les liens qui s’y tissent qui est au centre, peu importe qu’il soit de l’or ou de la boue. Les acteurs sont tous très bons, autant dans le registre comique que dans celui de l’émotion, et la réalisation joue au mieux du caractère claustrophobe de l’appartement où la vie, le documentaire et le film se mélangent, ainsi que des possibilités des moments où le film s’ouvre sur l’extérieur, autant pour des gags que pour offrir d’autres modalités d’expression à ses personnages. Le film a ainsi été récompensé par le prix Tiantan au 14e Festival du Film de Pékin où son scénario et l’interprétation de Yue Hong dans le rôle de la mère ont aussi été récompensés.

Florent Dichy

G for Gap de Fei Long. Chine. 2023. Projeté dans le cadre de la reprise du Festival du Film de Pékin