VIDEO – In Water de Hong Sang-soo

Posté le 1 mars 2025 par

Après sa sélection en 2023 au Festival de Berlin, où Hong Sang-soo a son rond de serviette (ayant été sélectionné 10 fois et 4 fois primé), sorti en salles françaises le 26 juin 2024 (totalisant près de 5 600 entrées sur 26 copies), ce 29e long-métrage du cinéaste (qui vient de présenter son 33ème… à Berlin) sort en DVD chez Arizona Films. L’occasion de (re)découvrir ce film, mal-vu, mal-visible mais pas mal-aimable.

Sur l’île rocheuse de Jeju, un jeune acteur réalise un film. Alors que l’inspiration lui manque, il aperçoit une silhouette au pied d’une falaise. Grâce à cette rencontre et à une chanson d’amour écrite des années plus tôt, il a enfin une histoire à raconter.

Il a été entendu une chose intéressante, lors d’une séance débat autour du film mené en salle, à Lyon, avec une association coréenne, à l’issue de la projection de In water. Deux spectatrices se sont exprimées, l’une protestant que le film ne lui avait offert qu’une migraine, l’autre arguant, texto, qu’elle venait de voir « le plus beau film de sa vie » . Par-delà la bipolarité de ces ressentis, cette œuvre très courte (1h01) repose sur le geste plastique le plus radical de son auteur : la quasi-intégralité du film est sciemment floue. Cette confusion visuelle résonne comme un purgatoire, une suspension sensible où se trouve l’artiste sud-coréen, semblablement en panne d’inspiration depuis plusieurs films. Dans le flou lui-même, il y plonge tête-bêche son cinéma et ses spectateurs. Ce vague-à-l’âme, il se caractérise aussi par les substitutions à l’œuvre dans son imaginaire : lors du premier repas en ouverture, les traditionnelles bouteilles de soju que jonchent les tables de ses scènes ont été échangées par une bouteille de cola, que l’un des personnages dit adorer. Le soju coutumier finira par apparaître plus tard.

À quoi rime donc cette imprécision visuelle, qui baigne le film dans une buée ? On peut y deviner plusieurs intentions : celle donc, évoquée, de la confusion de l’auteur lui-même. Mais aussi celle du geste poétique qui, dans son essence même, arrache les signes de leur clarté limpide pour les suspendre dans un entre-deux du sens. Comme le dit Paul Valéry dans ses Cahiers : « La poésie, c’est l’art de suggérer et non de signifier, c’est dans le flou qu’elle trouve sa lumière. » .

Le flou traduit probablement aussi la condition physique de l’auteur, âgé de 63 ans lors du tournage, et dont la vue, aidée par des lunettes, semble baisser. À l’égal de la cheffe-opératrice Caroline Champetier qui expliquait le choix du flou par Godard dans certaines séquences de Soigne ta droite (1987) légitimé par des problèmes optiques et son souhait d’y faire correspondre sa mise en scène, Hong (alors producteur, réalisateur, monteur et directeur de la photo) cède à la même littéralité physique et esthétique.

Enfin ce flou permet au cinéaste de se confronter frontalement à « l’artiste qu[‘il] admire le plus » comme il l’avait confié à Libération en 2016 : le peintre Paul Cézanne. En calquant l’impressionnisme du peintre du XIXe siècle à l’échelle du cinéma de 2020, Hong actualise une certaine horizontalité de l’histoire de l’art en produisant un tableau vivant (dont la durée même inciterait davantage le film a être exposé dans un musée d’art contemporain plutôt que de se mouler dans le dispositif de la salle).

Alors qu’avec La Voyageuse (2024), il a fait migrer son cinéma dans le champ du théâtre (construisant son découpage et orchestrant sa mise en scène comme un agglomérat d’espaces scéniques escamotés), il le transplante avec In water dans le territoire de la peinture. Situant son récit sur l’île de Jeju, loin donc de Séoul et de Busan où il a l’habitude de tourner, l’auteur prend conscience, au sein de sa fiction comme dans son processus même de production, qu’il œuvre là dans la marge, celle de l’industrie cinématographique sud-coréenne comme celle de son Œuvre. Avec, parmi les acteurs de sa troupe, Shin Seok-ho – vu dans La Femme qui s’est enfuie (2020), Introduction (2002), Juste sous vos yeux (2022) et Walk Up (2024), en jetant le flou sur ce récit, Hong semble fondamentalement faire le point sur l’inaltérable work in progress de son cinéma.

BONUS

L’édition DVD d’Arizona Films ne comporte aucun bonus, ni commentaire ni introduction. En complément I.R.L., le DVD présente un dépliant du poème qui siège au cœur et à l’issue du film.

Flavien Poncet.

In Water de Hong Sang-soo. Corée du Sud. 2023. Disponible en DVD chez Arizona Films le 26/02/2025.