Jia Zhang-ke FICA 2025

FICA 2025 – Entretien avec Jia Zhang-ke : « c’est le présent immédiat qui m’intéresse »

Posté le 22 février 2025 par

Président du jury international de la 31è édition du Festival international des cinémas d’Asie de Vesoul (FICA), Jia Zhang-ke nous a accordé un entretien dans lequel il revient sur les années 90 et son dernier film, Les Feux sauvages.

Tout juste récompensé d’un Cyclo d’honneur pour l’ensemble de sa carrière, le réalisateur chinois Jia Zhang-ke a donné quelques jours auparavant une MasterClass au cours de laquelle il a parlé des temps forts de sa carrière. Dans cet entretien complémentaire, il revient plus en détail sur son éducation au cinéma, la vitalité du début des années 2000 et ses prochains projets.

Dans votre MasterClass, vous avez parlé des films que vous voyiez dans les années 80-90. Vous n’avez pas mentionné de films soviétiques. Pourtant, il me semble qu’ils étaient largement diffusés en Chine et qu’ils ont eu une certaine influence. Quel est votre par rapport au cinéma soviétique ?

Pendant la Masterclass, je parlais surtout des salons privés où on pouvait voir des films piratés ou en vidéo. Et les gens de ma génération n’avaient plus le même rapport que la génération précédente avec le cinéma soviétique. Dans les années 80, je voyais surtout des films indiens, japonais, des vieux films italiens. À l’époque, plusieurs films m’ont marqué : Rome, ville ouverte de Roberto Rossellini, Le Voleur de bicyclette de Vittorio De Sica ou La Trilogie d’Apu de Satyajit Ray.

À l’Académie de cinéma de Pékin, que vous avez rejoint en 1993, quels films étudiez-vous ? À quel point pouviez-vous voir et étudier les films étrangers ?

Les deux premières années, il y avait un tronc commun où on s’essayait à la photographie, au jeu d’acteur ou à la mise en scène… Pour l’histoire et les théories du cinéma, on nous présentait deux types de films : les films chinois et les films étrangers. Il y avait ensuite des sous-divisions par époque et par courant artistique. Parmi nos professeurs, certains avaient fait leurs études en Union Soviétique, en France ou aux États-Unis. L’époque était très ouverte sur le plan des idées et les professeurs nous présentaient les films chacun à leur manière, selon leurs goûts et sensibilités.

Quel était le regard porté par les professeurs sur le cinéma chinois, notamment la période de la Révolution culturelle ?

Le cinéma chinois était étudié de manière chronologique, en quatre périodes : la période d’avant 1949, notamment le cinéma de Shanghai et des réalisateurs comme Wu Yonggang et son film La Divine, et des classiques comme Printemps dans une petite ville de Fei Mu. Ensuite, la période 1949 à 1966, où il y avait encore une certaine expression artistique mais on sentait les prémices de l’ambiance révolutionnaire et propagandiste. Puis, la période de la Révolution culturelle avec ses huit opéras modèles révolutionnaires. Et enfin, la cinquième génération. Pour les huit opéras révolutionnaires, je me souviens que Godard a dit que c’était du pur surréalisme. Il n’avait pas tort.

Dans les années 90, y avait-il un esprit de groupe entre les jeunes réalisateurs de l’époque ? Vous connaissiez-vous et vous entraidiez-vous ? Je pense notamment à Wang XiaoshuaiZhang Yuan, Guan Hu ou Lou Ye.

Guan Hu et Lou Ye étaient un peu plus âgés que moi et ont commencé à tourner dès le début des années 90. Mais on a tous vécu cette période de grandes transformations et cela nous a réunis. On apparaît à peu près tous dans les films des uns et des autres. Cet esprit de groupe s’est aussi exprimé au début des années 2000 quand on écrivait des manifestes pour faire bouger l’industrie cinématographique chinoise.

Votre dernier film s’appelle littéralement « génération romantique » (Les Feux sauvages pour la distribution française). Le romantisme est un mouvement européen du 19è siècle qui met l’individu au centre de tout, qui est, idéologiquement, à l’origine du libéralisme, mais qui parle aussi du désenchantement du monde. C’est cela pour vous, la génération romantique ? Une génération de l’individualisme dans une industrialisation forcenée et un certain désenchantement du monde ?

Ce titre résonne dans l’esprit des Chinois comme une quête de liberté individuelle, d’indépendance et de prise en charge de son destin. C’est la conséquence des réformes économiques menées à partir de la fin des années 70. Cet esprit de liberté et d’indépendance est donc une quête pour les jeunes Chinois qui avaient 20 ans en 2000. Le film commence sur des images de fête du nouveau millénaire pour mettre en avant combien cette période était dynamique à un point extrême. Aujourd’hui, cette vitalité est moindre qu’au début des années 2000.

Cette vitalité du début des années 2000, c’est vrai qu’on la retrouve dans plusieurs films de cette période, même à Taiwan. Je pense à Millennium Mambo de Hou Hsiao-hsien.

Oui, cette ambiance se retrouve dans plusieurs films, en Chine, à Hong Kong ou Taiwan. Millennium Mambo, Yi Yi d’Edward Yang, In the Mood for Love de Wong Kar-wai ou mon film Platform.

Les Feux sauvages boucle cette période qui commence en 2000 mais globalement, votre filmographie parle de la Chine de la fin des années 70 à aujourd’hui. Voulez-vous passer à autre chose ? Parler d’une période plus ancienne de la Chine ? Ou au contraire explorer l’extrême contemporain de la Chine post-Covid ?

Je suis toujours plus intéressé par le moment présent, surtout quand j’observe la société, en Chine ou ailleurs. On est dans une période de transition, de bouleversements idéologiques, économiques et technologiques. Je veux voir l’impact que tout cela a sur la vie des gens. C’est le présent immédiat qui m’intéresse.

Black Dog de Guan Hu a été projeté hier soir au Festival de Vesoul. Vous y jouait un second rôle. Pouvez-vous nous en parler ?

Le tournage s’est passé pendant la pandémie. Je tournais mon film dans la région désertique du Gansu, c’est un endroit que j’aime tellement que je m’arrange tous les ans pour y passer quelques jours. Comme Guan Hu tournait aussi là-bas, je suis passé le voir et il en a profité pour me donner un petit rôle, celui de l’oncle Yao. Je connais bien ce type de personnage. J’ai accepté volontiers, ça a duré deux jours.

Traduction : Pascale Wei-Guinot

Entretien réalisé à Vesoul le 16/02/2025 par Marc L’Helgoualc’h.