Cette année, le festival Black Movie de Genève a choisi de revenir sur Los Lobos del Este, connu aussi sous le titre anglophone The Wolves of the East, production internationale entre le Japon, l’Angleterre, la Suisse et le Brésil du réalisateur cubain Carlos Machado Quintela. Quête poétique d’un vieux chasseur, interprété par le légendaire Fuji Tatsuya, en quête du dernier loup des alentours boisés de Higashi Yoshino, le film déroule un voyage introspectif qui médite sur la place de l’homme dans la nature.
Le film est court, à peine plus d’une heure, mais il sait utiliser pleinement son environnement. Financé dans le cadre de NARAtive 2016 (projet destiné à inviter des cinéastes du monde entier à tourner dans la préfecture de Nara, pour allier art et vitrine touristique), il a été imaginé par son réalisateur comme une suite à Cuba mon amour, film de 1969 de Kuroki Kazuo, sur l’histoire d’Akira, un marin japonais, et de Marcia, une jeune cubaine aspirant à la révolution. Toute la mise en scène est mise au service de la magnificence de la nature de la région, avec d’impressionnants plans aériens et beaucoup de plans de solitude dans la forêt, avec son sujet perdu dans son décor. Le travail sonore est aussi particulièrement impressionnant : plutôt que d’imposer une musique d’ambiance, le réalisateur choisit de reproduire de façon particulièrement sensible les bruits de la forêt, à la fois discrets et enveloppants. On note aussi le jeu sur le montage sonore, avec des glissements d’une scène à l’autre, comme par prolepse (on remarque ainsi l’un des notables moments musicaux du films avec une très efficace prolepse dont les sons débordent sur la séquence précédente). Dans l’ensemble, le film remplit parfaitement son contrat de valorisation de la région de Nara par des moyens proprement cinématographiques.
Du point de vue narratif, Los Lobos del Este repose sur une trame simple : un vieux chasseur dépense toutes les ressources de son association pour essayer de trouver un loup, alors que les loups de Nara sont officiellement éteints depuis des décennies et que la voix off touristique qui encadre le film nous explique que c’est maintenant aux chasseurs de prendre la place de régulateur des loups dans l’écosystème. Comme les loups qu’il cherche, le protagoniste est un homme d’un autre temps, au passé trouble, destiné à disparaître. Le film bénéficie de la présence tout en intériorité de Fuji Tatsuya, aussi crédible ici qu’il l’était dans L’Empire de sens, dans P.P.Rider ou Bright Future/Jellyfish. Le film joue aussi parfois sur la confusion entre le rêve, le souvenir et la réalité, comme dans les flashbacks retournant à la guérilla de Cuba mon amour ou l’étrange scène musicale qui surgit au milieu d’une scène à la tristesse morne.
La fin lorgne vraiment vers le conte, dans un jeu sur le fantastique et des plans finaux qui laissent à l’imagination du spectateur la conclusion définitive quant à l’avenir du loup comme du protagoniste. Jusqu’au bout, le film joue sur sa part de mystère mélancolique : les dialogues nous en apprennent beaucoup sur les personnages mais certains secrets restent en suspens, du passé de ce marin devenu chasseur aux moyens de la survie du loup. On observe ce Achab autodestructeur mais c’est un autre qui pourra revendiquer de faire rentrer dans le champ son Moby Dick, leur rencontre réelle, sans doute trop intime, se glissant dans une ellipse du film. Les amateurs de films contemplatifs seront séduits par la beauté triste du film, même s’il faut accepter que certaines scènes clefs resteront hors champ et que, sans connaissance du lien avec le film de Kuroki Kazuo, certaines séquences sont particulièrement étranges, avec cette femme armée qui court à travers les souvenirs d’Akira. A la fois portrait enamouré de la région de Nara et film construit à la gloire de son interprète, ces loups de l’Est valent en tout cas la peine d’être découverts.
Florent Dichy
Los Lobos del Este de Carlos Quintela. 2017. Japon-Cuba. Projeté au Black Movie 2025