Splendor Films ressort en salles cette semaine Le Pavillon d’or d’Ichikawa Kon, adaptation fidèle et magistrale du roman éponyme de Mishima Yukio pour une œuvre austère, complexe et captivante.
Mizoguchi Goichi, conformément aux dernières volontés de son père, est pris en charge par le bonze Tayama du temple Shukaku, le « Pavillon d’or ». Des touristes visitent le temple. Un couple s’amuse. Pour le jeune homme, ces gens souillent l’image sacrée qu’il a du temple. Peu après, Mizoguchi aperçoit Tayama accompagné d’une geisha. Plein de désillusion, il va tout faire pour rendre sa pureté au Temple.
Le 2 juillet 1950, l’opinion publique japonaise est sidérée par le fait divers voyant un jeune moine incendier le Pavillon d’or, temple bouddhiste et trésor national jusque-là préservé depuis sa construction à la fin du 14e siècle. L’évènement va inspirer à Mishima Yukio son roman Le Pavillon d’or (publié en 1956), dans lequel il va imaginer la psychologie et les motivations ayant mené le coupable à son terrible geste. Deux ans après la parution du roman, Ichikawa Kon va donc s’atteler à une très fidèle adaptation – une autre, réalisée par Takabayashi Yoichi, suivra en 1976.
L’intérêt de Mishima pour cet évènement et l’approche qu’il en fait dans le roman est indissociable de sa personnalité complexe et torturée. Le livre s’inscrit dans une grande période d’inspiration durant les années d’après-guerre pour Mishima (Amours interdites en 1951, Le Tumulte des flots en 1954, Après le banquet en 1960), ce qui correspond aussi au moment où une partie de sa pensée se radicalise, et son corps se transforme. Il se sculpte ainsi un physique d’athlète à partir de 1955 et commencera dans les années suivantes à soutenir les mouvements nationalistes. Les influences occidentales de ses écrits s’estomperont progressivement pour davantage célébrer la tradition japonaise. Cette évolution témoigne des tiraillements agitant Mishima, fuyant ses penchants homosexuels dans une allure et des opinions supposées viriles, les discours étant contredits par le contenu des œuvres (le héros de Confessions d’un masque faisant office de double coupable) et l’imagerie véhiculée (les photos musculeuses de Mishima et ses acolytes baignant dans une esthétique crypto-gay « involontaire »). C’est une fuite en avant qui le mènera en définitive vers son suicide par seppuku le 25 novembre 1970.
Toutes ces pensées contradictoires se retrouvent chez Mizoguchi (Ichikawa Raizo), jeune adolescent envoyé selon les derniers souhaits de son père faire son apprentissage de novice au temple Shukaku de Kyoto, le « Pavillon d’Or ». Complexé par son bégaiement, Mizoguchi trouve dans la bienveillance du moine supérieur Tayama Dosen (Nakamura Ganjiro), une forme d’apaisement, mais c’est surtout la fascination qu’il va nourrir pour le Pavillon d’or qui guidera ses actes. Ichikawa Kon nous plonge dans les méandres de la pensée de l’adolescent pour lequel le monde extérieur est une menace constante. Le modèle apaisant que représentait son père n’est plus, le drame de sa disparition étant en partie dû à un acte scandaleux de sa mère. Mizoguchi est trop frêle pour se fondre dans le modèle machiste et extrême vanté par un Japon belliciste courant à sa perte, et va donc ainsi faire reposer toute sa foi et son amour du monde dans la beauté que représente à ses yeux le Pavillon d’or.
Ichikawa déroule très, voire trop fidèlement la construction du roman (même si l’amitié avec Tsurukawa, interprété par Funaki Yoichi, est plus en retrait) mais transcende ce mimétisme par ses idées formelles. Les raccords en mouvement entremêlés à de fascinants jeux d’ombres introduisent ainsi brillamment les flashbacks de Mizoguchi et construisent un fascinant espace mental pour faire partager la confusion du personnage. Le cadre du temple oscille entre environnement terre à terre, solennel et sobre, et une magnificence onirique accentuée par la photo vaporeuse de Miyagawa Kazuo dans des fondus enchaînés hypnotiques. Le générique nous montrait différentes vues du temple à partir des plans de celui-ci, lui conférant une présence rationnelle et concrète avant qu’il ne nous apparaisse réellement.
C’est une opposition que travaille constamment Ichikawa, celle de la réalité contre une pureté illusoire. Les déconvenues de Mizoguchi, pensant surmonter ses maux dans la grandeur de ces lieux, viennent de ce constat qui se propagera à différents éléments et personnages du récit. La présence de la mère volage vient troubler l’harmonie de ce cadre, tout comme la désinvolture des touristes américains et de leurs maîtresses japonaises, et en définitive Tayama Dosen entretenant une liaison scandaleuse à l’extérieur. La boussole morale de Mizoguchi s’égare, tant au contact du réel débauché et psychotique Tokari (Nakadai Tatsuya halluciné) que face au jugement de ceux dont il a pourtant cerné les imperfections. Dès lors le Pavillon d’or ne mérite pas d’être partagé, d’être visité par ces impies et sa beauté doit briller une dernière fois dans les flammes et s’éteindre en même temps que la conscience de Mizoguchi. Ichikawa Kon signe une œuvre aussi radicale, troublante, ambigüe et austère que le roman pour un résultat vraiment singulier.
Justin Kwedi.
Le Pavillon d’or d’Ichikawa Kon. 1958. Japon. En salles le 15/01/2025.