Carlotta propose une très belle édition d’un film de science-fiction japonais de 1979, Les Guerriers de l’Apocalypse de Saito Kosei. Littéralement nommé Forces d’auto-défense de l’ère Sengoku, et aussi connu sous le nom de G.I. Samurai, il raconte l’étrange voyage d’un groupe des forces d’autodéfense soudain projeté dans le monde des Royaumes Combattants, avec leurs camions, bateau, tank et hélicoptère. Très spectaculaire, le film est ici présenté dans une édition 4K rehaussée de Dolby Vision, accompagnée dans son édition collector du dossier de presse de la sortie française de 1982, de douze lobby cards et d’un poster.
Le film est conçu par le producteur Kadokawa Haruki (fondateur de la célèbre maison d’édition du même nom) comme une tentative de revitaliser la tradition du film de samouraï de nouvel an, mais en jouant en même temps sur la mode de la science-fiction. Il s’est donc tourné vers le roman de Hanmura Ryo, Forces d’auto-défense face à l’ère des guerres féodales et, surtout vers la star Sonny Chiba et son Japan Action Club, responsables des scènes d’action du film. Pour capter l’ère du temps, il a choisi l’équipe du réalisateur Saito Kosei, du scénariste Kamata Toshio et du directeur de la photo Isayama Iwao, en fonction de leurs récents succès dans des projets qu’il décrit comme destinés aux adolescents.
Le film est très ambitieux, les personnages faisant un usage fréquent d’un hélicoptère et d’un char, et les batailles présentent plusieurs fois des armées entières de samouraïs. Les scènes d’action, dirigées par Chiba lui-même, sont souvent aussi imaginatives qu’impressionnantes, notamment avec un des passages mis en avant dans la bande-annonce mettant en scène la star suspendu dans le vide, descendant de l’hélicoptère sur un bateau en marche, entre les tirs ennemis. On peut aussi noter une séquence qui commence comme dans un chanbara avant que le samouraï rebelle ne s’envole en sautant du château dans l’hélicoptère, tournée dans un véritable château médiéval, dans des conditions qui ne seraient sans doute plus autorisées aujourd’hui. En ce qui concerne le récit, on est plus proche du fantastique que d’une volonté de cohérence d’univers de science-fiction. Quelques indices sont proposés mais, après une très impressionnante scène psychédélique représentant de façon stylisée le changement d’époque, la question du pourquoi est complétement abandonnée.
Il s’agit en effet avant tout d’observer l’évolution des comportements des personnages dans leur nouvel environnement, et c’est là que survient l’une des surprises du film. On comprend au fur et à mesure pourquoi les forces d’auto-défense ont refusé leur soutien logistique au film (le tank a dû être construit pour le film et les uniformes sont américains) : au détour d’un dialogue, on apprend que certains personnages étaient impliqués dans une tentative de coup d’état, et leur transition en monstrueux pirates semble la suite logique de leur itinéraire. Mais le héros du film, le bon soldat qui a ramené les autres dans le droit chemin, se révèle progressivement tout aussi problématique ; sous l’influence d’un samouraï sanguinaire, il se rend compte que cette époque de gloire militaire lui convient mieux que la paix, et, sous le prétexte de provoquer un paradoxe qui permettrait hypothétiquement de regagner le présent, rongé d’hybris, il se lance avec son nouvel ami dans une tentative de prise de contrôle du pays. En arrière-plan, on retrouve d’autres personnages, comme le soldat qui ne désire que retrouver sa fiancée, dont les apparitions périodiques servent à rappeler l’horreur de la situation de ses hommes dont les proches ignorent tout du sort. La sous-intrigue la plus étonnante est celle d’un soldat qui rencontre une femme dans ce passé. Le traitement est assez étonnant, le début de la relation peut sembler daté, avec un rapport à la violence assez dérangeant, mais ensuite la jeune femme, visiblement muette, continue d’apparaitre comme une présence fantomatique, avec son regard sombre et sa présence en marge des événements, jusqu’à la fin tragique de cette partie de l’histoire. Avec ce personnage, on est à la limite du récit fantastique, alors que le film mélange déjà la comédie liée à l’incongruité de la situation, le film de guerre, le film en costume et le drame, en restant miraculeusement juste dans les différents registres. Si les scènes tournées par le Japan Action Club sont très impressionnantes, Saito et Isayama s’en tirent eux aussi très bien sur les scènes vouées à faire avancer le récit. De façon amusante, on retrouve dans une scène emblématique un jeune Hiroyuki Sanada (vu aussi bien dans Les Évadés de l’espace que les films Ring, chez Fukasaku, dans John Wick 4 et les derniers films Mortal Kombat, ou les séries Westworld, et bien sûr Shogun).
BONUS ET ÉDITION
Avec ses personnages ambigus, son ambition visuelle et son mélange des genres étonnamment réussi, Les Guerriers de l’Apocalypse est un choix logique pour une réédition 4K. L’édition de Carlotta propose un nouveau mixage convainquant en Dolby Atmos mais fournit aussi la piste quadriphonique originale qui était déjà spectaculaire pour l’époque et une piste d’exploitation monophonique. La scène du voyage temporel suffit à se rendre compte de l’intérêt de l’étalonnage en Dolby Vision, avec un très impressionnant jeu sur les couleurs (le film s’en tire aussi très bien sur un écran HDR 10 mais l’effet est un peu moins saisissant, et reste très satisfaisant même sans HDR) et une image très propre, même projetée.
Le bonus principal est une instructive interview de Fabien Mauro qui offre une mise en contexte riche et quelques propositions interprétatives, notamment sur la présence fugace mais notable d’une centrale nucléaire au début du film. En vérité, la seule déception est qu’il ne s’intéresse pas davantage au personnage de la jeune muette.
La véritable curiosité est la présence de la version présentée en France en 1982. Plus courte d’une demi-heure, les crimes de guerre des soldats devenus pirates n’y sont plus montrés, notamment tout ce qui concerne leur traitement des femmes, mais on constate aussi des changements de dialogue, en effaçant toute l’histoire du coup d’état mais en « normalisant » aussi certaines pratiques de façon datées, quand les soldats vont assouvir leurs appétits sexuels non plus chez une veuve mais dans une maison close, avec des plaisanteries grivoises. Cette version, non restaurée, permet de d’autant mieux apprécier l’impressionnant travail sur l’image de cette édition.
Si les bandes-annonces et les lobby cards sont un plus appréciable mais pas indispensable, le fac simile du dossier de presse est en revanche très riche, avec une éclairante note d’intention de Kadokawa et du romancier, et un plus indéniable de l’édition collector. Le film est aussi fourni dans sa copie Blu-ray, moins impressionnante mais de très bonne facture. Si le film est marquant, l’édition est à sa hauteur.
Florent Dichy.
Les Guerriers de l’Apocalypse de Kosei Saito. Japon. 1979. Disponible chez Carlotta Films en Blu-ray, Blu-ray 4K et Édition Prestige Limitée (EPL) le 03/12/2024.