VIDEO – Typhoon Club de Somai Shinji

Posté le 11 janvier 2025 par

Après sa ressortie en salles cet été, Typhoon Club, l’un des premiers coups d’éclats de Somai Shinji, est désormais disponible dans une belle édition combo DVD/Blu-Ray chez Survivance Films. Après la redécouverte l’an dernier de Déménagement, nous pouvons continuer à savourer la filmographie de ce réalisateur majeur du cinéma japonais contemporain. Film par Julien Thialon ; Bonus par Justin Kwedi.

Sōmai Shinji est un réalisateur très apprécié au Japon. Pourquoi ? Dans toute sa filmographie, il soulève les vrais problèmes sociaux des Japonais qui perdurent encore pour la plupart aujourd’hui. Dans Typhoon Club, il y aborde de nombreuses thématiques avec comme fil conducteur la mise en exergue de cette jeunesse cloisonnée, incomprise et abandonnée par les adultes dans une école en pleine campagne. Le temps d’un typhon, ces jeunes adolescents vont se libérer, chacun à leur manière, avec excès et insouciance, de ces cordes sociales et de la solitude qui les étouffent.

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Somai enferme ses personnages dans une prison sociale sous surveillance.

Le typhon représente pendant tout le film la frontière entre le Typhoon Club, ce petit groupe d’étudiants marginaux, et le monde des adultes. Ceux-ci sont aux abonnés absents ou incapables d’en assumer la responsabilité. L’éducation scolaire est quant à elle bien présente, le professeur de mathématiques en étant la pâle représentation. Compétent dans son métier, il l’est beaucoup moins comme exemple de réussite sociale. Pour preuve cette descente incontrôlable de sa future belle famille dans sa classe. Il n’arrivera jamais à incarner une forme d’autorité, au détriment de certains de ses élèves en manque d’affection. Les adolescents, qui jouent tous admirablement bien pendant tout le film au vu de leur jeune âge, trouvent alors refuge dans des comportements violents ou déviants. Ijime, homosexualité, pulsions sexuelles, tant de thématiques sous-jacentes chères au cinéaste qui s’incorporent parfaitement dans le récit de Typhoon Club.

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Le professeur est décrédibilisé devant toute sa classe par l’irruption colérique de la mère de sa conjointe.

L’école est assimilée à une prison (qu’il comparera ironiquement au Kinkaku-ji dans la scène finale), Somai aimant filmer de l’extérieur ses personnages à l’intérieur. Les fenêtres sont souvent ouvertes pour leur éviter l’asphyxie et insuffler des espoirs de liberté. Le cinéaste accompagne la douleur morale et physique de ses personnages par de très longues séquences pour mieux ressentir leur souffrance. Pour s’en libérer, ces jeunes lycéens dansent. Maladroitement mais gaiement, une joie de vivre contagieuse accompagnée en musique avec des morceaux de punk rock, de reggae ou de comptines traditionnelles. Autant d’instants que la mise en scène tend à rendre uniques. La caméra se rapproche peu à peu de cette liberté totale (pour mieux exploser en son cœur comme dans la première scène) où chacun se déguise ou se dévêt de son uniforme (« Adieu tristesse, adieu sinistres vêtements« ) pour s’affranchir complètement et enfin jouir de la vie.

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L’une des scènes mémorables du film. Au cœur du typhon, un répit permet à ces jeunes de se dévêtir complètement et d’entonner une comptine d’enfance. La pluie reprend de plus belle, ils luttent sous la pluie quelques instants mais finissent par rentrer à l’école.

Néanmoins, Typhoon Club n’est absolument pas un film d’espoir malgré ses moments de liberté absolue. Dans sa deuxième partie, le récit suit en parallèle, dans deux lieux différents, le destin tragique de deux étudiants. L’une fugue dans les pluies diluviennes tokyoïtes pour un renouveau. L’autre reste à l’école et se résout à comprendre et imiter les adultes. Somai fera craquer rapidement la tentative de la première où elle chantonnera, pleurant à genoux dans les rues désertes de Tokyo, la même comptine que ses amis. Le deuxième, après une résignation musicale (la caméra emportant le garçon vers la scène théâtrale), mettra en scène son propre salut. Terrifiant.

BONUS

Analyse du film (39 min) par Mathieu Macheret, critique cinéma pour Le Monde. Il présente les débuts de Somai Shinji dans le Roman Porno au sein de la Nikkatsu, en tant qu’assistant-réalisateur pour Sone Chusei. Il y apprend les bases du métier oscillant entre les contraintes du Roman Porno et la liberté formelle et tonale permise par ailleurs. Macheret aborde ensuite ses débuts à la réalisation début des années 80, ses thématiques liées à l’adolescence, et l’association entre bouillonnement hormonal et manifestations météorologiques. Il voit la période des années 80 comme un creux dans le cinéma japonais qui empêcha la reconnaissance internationale de Somai. Typhoon Club est selon lui une réponse plus sombre de Somai au Breakfast Club de John Hughes, refusant la volonté de « réconciliation » de ce dernier au sein du monde adolescent.

Il souligne l’aspect collectif, la dynamique de groupe qui guide la mise en scène de Somai. L’individualité intervient avec l’isolement, notamment via son motif du plan-séquence ou plutôt de la prise longue investissant l’espace, accompagnant les différents états des personnages dans la durée. Le critique appuie son propos par la description précise de plusieurs scènes, l’analyse de la narration et du dispositif de Somai. La narration « rêche » laisse place aux non-dits, laissant le spectateur comprendre plutôt qu’être guidé quant aux états d’âmes des adolescents.

Un livret (12 pages) rédigé par Dimitri Ianni. C’est un parfait complément replaçant les préoccupations adolescentes de Somai dans un contexte japonais où la figure de l’idol permet de lancer plusieurs productions mettant en scène des stars juvéniles. Ianni souligne la particularité de Typhoon Club, plus libre dans ses partis-pris car produit au sein de la compagnie indépendante Directors Compagny dont le fonctionnement collégial laisse davantage les réalisateurs s’exprimer. Le critique dépeint le processus de sélection du scénario de Kato Yuji au sein de la compagnie, et en souligne les échos passionnants et plus fouillés de Somai par rapport à ses productions plus commerciales et/ou adultes.

Typhoon Club de Somai Shinji. Japon. 1985. Disponible en combo Blu-Ray/DVD chez Survivance le 25/11/2024