FFCP 2024 – Lesson de Kim Kyung-rae : sur l’homme et son double

Posté le 16 novembre 2024 par

Présenté lors de ce 19e Festival du Film Coréen à Paris (FFCP), Lesson de Kim Kyung-rae est un drame sur les relations humaines, troisième long métrage de son réalisateur.

Kyung-min, professeur particulier d’anglais, semble perpétuellement désabusé. Il n’a objectivement rien à reprocher à sa compagne Seon-hee, mais, contrairement à ce qu’elle espère, et aux attentes de sa famille et de la société coréenne, il ne compte pas l’épouser. Une de ses élèves Young-won, lui propose d’échanger ses leçons d’anglais contre des leçons de piano. Les interactions semblent plus simples avec elle, mais, alors que lui rêve la relation comme quelque chose qui dure, that doesn’t fade, elle préfère vivre de l’instant.

Sur cette trame simple, le film déroule une narration élégante, qui joue sur les effets d’échos et de miroir. Le film met en scène l’impression croissante de décalage entre le protagoniste, qui semble tenté par l’immobilité (étrange scène, où il semble irrésistiblement attiré par les gens allongés dans un parc, ou obstination à réparer un piano cassé, même s’il serait plus simple d’en changer), et le déroulement attendu d’une relation dans la société de son pays, avec le mariage comme but en soi, presque plus important que la santé de la relation. Les amis, la famille, l’arrangement avec sa compagne, tout semble le pousser à « avancer » contre son gré. C’est ce qui va permettre au deuxième personnage féminin de jouer son rôle. Fumeuse, vêtue d’un blouson de cuir, ses désirs sont aussi opaques que ceux de Kyung-min, qui croit trouver en elle son double (certaines scènes jouent même à se répéter, avec les mêmes dialogues, en lui donnant le rôle de Seon-hee et en donnant son rôle précédent à Young-woo, dans un effet de stylisation qui lorgne vers le fantastique).

Le film joue des non-dits et des ellipses, il faut parfois prêter attention à des éléments de la vie des personnages secondaires pour prendre la mesure du passage du temps. De la même façon qu’on suit l’itinéraire de ce personnage qui échappe à la femme qui l’aime, on voit ensuite la femme qu’il poursuit lui échapper. Si lui parle anglais, elle parle français, les leçons pendant lesquelles se nouent la relation n’ont pas de finalité claire, ni pour l’un ni pour l’autre. Tous les éléments qui mènent à l’impasse sont présentées assez tôt, mais de la même façon que ses proches n’écoutent pas ses réticences, il n’écoute pas ce qui lui est dit sur Young-won, et  ni ce qu’elle lui dit elle-même, dans la mise en place d’une ironie tragique.

Le jeu tout en intériorité des acteurs est tout à fait adapté à la mise en scène qui joue sur le côté indéchiffrable de sphinx du couple principal ; c’est au spectateur de finir le puzzle lui-même. C’est là la force et la faiblesse du film : les personnages sont souvent plus esquissés qu’entièrement caractérisés, ce qui peut amener à des interprétations divergentes. Au début du film, le héros est-il violemment autocentré en refusant tout ce qui ne lui fait pas directement plaisir, sans compromis pour sa vie de couple, quitte à faire souffrir celle qu’il dit aimer (en refusant symboliquement de s’afficher avec elle auprès de ses amies notamment), ou marque-t-il simplement ainsi son refus de céder aux pressions, de ne se marier que parce que c’est ce qu’il faut faire ou qu’un bouquet a été envoyé à la fin du mariage d’un autre ? L’insistance sur les jeux de dédoublement peut aussi paraître un peu trop appuyée (avec une scène finale qui suggère même une dimension cyclique mais aussi deux scènes de sexe, assez crues pour du cinéma coréen non érotique, deux scènes de vélos trouvés, deux scènes avec l’ami pianiste dont la femme est absente et deux scènes de refus de dormir près de l’autre) pour l’esthétique sobre du film.

A la fois subtil et maniéré, avec ses personnages ambigus et certains beaux passages, presque poétiques, le réalisateur présente ici un film indépendant presque archétypal, rêverie sur le sentiment amoureux et les relations humaines, qui plaira aux amateurs de films doux amers, sur le mode mineur, au sens musical du terme.

Florent Dichy

Lesson de Kim Kyung-rae. Corée du Sud. 2023. Projeté au FFCP 2024