VIDEO – Lady Vengeance de Park Chan-wook

Posté le 14 novembre 2024 par

La trilogie de la vengeance de Park Chan-wook, immense morceau de cinéma coréen, revient en édition Blu-ray/UHD dans un superbe coffret chez Metropolitan Filmexport. Retour sur Lady Vengeance, ultime opus radical de la trilogie. Film par Antoine Benderitter ; Bonus par Justin Kwedi.

Au bout de treize ans de détention, Lee Geum-ja sort de prison. La jeune femme avait été accusée, à l’âge de dix-neuf ans, du kidnapping et du meurtre d’un petit garçon. Une succession de flashbacks pose peu à peu les pièces du puzzle. De souriante et lumineuse, Lee Geum-ja est devenue glaciale, inquiétante – une statue de cire affublée d’un étrange maquillage rouge autour des yeux. Elle va partir à la recherche de sa fille, adoptée par une famille australienne ; et en même temps, préparer une vengeance d’autant plus fracassante qu’elle aura été longuement mûrie… Nous n’en dirons pas plus pour éviter les spoilers.

Narrativement, Lady Vengeance met du temps à abattre toutes ses cartes. Le début peut paraître décousu. Principal point d’accroche : des effets visuels tapageurs, moulés dans le grand angle et le cinémascope habituel de Park Chan-wook. La virtuosité de la mise en scène reste toutefois en-deçà d’Old Boy : le rythme s’avère un peu moins frénétique, les mouvements de caméra plus rares – sauf dans le dernier quart du film. Pour autant, il serait incongru de parler de sobriété. Park Chan-wook multiplie les petites trouvailles techniques, si ce n’est les vraies idées. Il les veut roboratives. Et les collectionne comme il ferait son marché. Exemple : cette scène de rêve avec un chien à tête humaine (image que n’auraient reniée ni Salvador Dali, ni le Tim Burton de Mars Attacks). Ou bien ces split-screens assez originaux, déployés à l’ouverture d’une porte ou entre les pages d’un carnet qu’on feuillette.

Le montage brasse et malaxe des plans ciselés, millimétrés, surcadrés, où chaque objet, chaque cil semble à sa place. Même quand la caméra reste immobile (ce qui arrive plus souvent que dans Old Boy), on dirait qu’elle prend la pose. Moins de pudeur que d’affectation dans ces mises à distance. D’autant que giclent ensuite à l’écran des jets de mauvais goût, d’hystérie, de grotesque. Si le film respire, c’est sous forme de halètements. Comme s’il étouffait – non sous l’effet des drames humains qu’il prétend peindre que par son empressement, à la fois exhibitionniste et onaniste, à sans cesse vouloir démontrer sa maîtrise. Dès lors, le spectateur reste réduit à son rôle originel : celui de pur spectateur  justement. Balloté d’un plan artificiel à l’autre. Relégué à distance et sans possibilité de réelle implication émotionnelle.

Seule caution à tant de facticité : une sorte de jouissance formelle qui peut s’avérer contagieuse. D’autant que le film parvient en général à se distinguer de l’esthétique criarde des clips et publicités avec lesquels, certes, il ne cesse de flirter dangereusement. Il n’y a pas que les images qui sont soignées ; les musiques sont magnifiques. Bande originale baroque signée par Choi Seung-hyun. Beaucoup de Vivaldi. Un peu de Paganini. Autant de choix inattendus qui dégagent un frisson, une ivresse plus kinesthésique qu’émotionnelle.

Enfin, que dire de la méditation – intéressante quoiqu’éculée – introduite par le scénario sur la vengeance, l’ambigüité de la violence, la quête compliquée voire impossible de rédemption ? Cette réflexion, au même titre que l’émotion, se trouve à tel point submergée par des effets grossiers qu’on pense presque à une blague. Et on se fait la remarque qu’en effet, le film est assez drôle ; même ses accès de violence lorgnent plus vers la parodie que vers le malaise (cf. par exemple, en prison, le personnage de la sorcière). C’est peut-être ce comique saillant par à-coups qui le sauve du naufrage – à condition de consentir au point de vue distancié auquel nous invite la mise en scène. Lady Vengeance reposerait alors moins sur une longue montée d’excitation rythmée d’orgasmes successifs et ascensionnels (comme chez Tarantino) que sur un long éclat de rire, inégal et spasmodique, frôlant le jouissif par sa saturation d’effets violents au service purement d’eux-mêmes. Voilà par où ce film hyper maniéré reste regardable. Mais guère plus en ce qui nous concerne.

BONUS

2 making-of (de 10 minutes chacun), mettant dans un premier temps en avant l’engagement et l’audace des deux acteurs principaux, Lee Young-ae et Choi Min-sik, à travers quelques séquences-clés dont nous observons le tournage. Survient un moment amusant lors d’une séquence où Choi Min-sik déclame un anglais parfait à la surprise de l’équipe, fruit d’un rigoureux travail en amont. Alors que le premier making-of est guidé par une voix-off didactique, le second est davantage en immersion en s’attardant longuement sur diverses séquences de tournage. L’occasion de davantage suivre le travail des acteurs, la préparation des équipes.

Une série d’interview des comédiens. Lee Young-ae (6 min) dépeint les circonstances l’ayant fait accepter le rôle malgré ses hésitations, né d’une volonté de faire évoluer son jeu. Elle dépeint la construction de son personnage, son look iconique, l’alliance de méticulosité froide et de nervosité de sa gestuelle, la gestion de ses émotions. Un des moments les plus mémorables (la séquence de danse) viendrait notamment d’improvisations. Elle déclare avoir pris du plaisir à tourner des scènes d’action, une nouveauté pour elle. Choi min-sik (6 min) explique le plaisir de ne plus avoir la pression d’être le rôle principal devant porter la réussite du film, tout en soulignant la singularité et le choc de celui-ci. Il savoure le fait de jouer un véritable méchant, le contraste entre la nature joviale et l’aura maléfique du personnage. Il apprécie l’imagination folle de Park Chan-wook notamment la scène où il doit jouer un chien dont nous verrons d’étonnants moments de tournage.

Plusieurs notules (6, 8, 8 et 6 min)  sur le style, que ce soit dans la mise en scène, la direction artistique, les décors, les maquillages. Park Chan-wook a désiré pour Lady Vengeance un style plus froid, créant une distance et suscitant moins d’empathie, notamment par le choix d’une caméra moins mobile. La construction narrative autour des flashbacks et les looks changeant de Lee Young-ae devait rendre son personnage insaisissable. L’épure construite autour du noir et blanc et de la neige à la fin du film devait susciter une émotion tardive une fois la vengeance accomplie. Le choix se fit sur des décors réels plutôt que de studios, afin d’en travailler l’irréalité par la direction artistique, la photo, la gestion de l’espace. La colorimétrie du film se conjugue au travail sur les tenues et le maquillage de Lee Young-ae, traversant à la fois les modes mais construisant aussi la haine et la rancœur de son personnage par un style vestimentaire de plus en plus affirmé. Les traits angéliques de l’actrice s’atténuent au fur et à mesure de sa vengeance, sa silhouette sombre et la pâleur de ses traits devaient dénoter avec ses victimes lors de la confrontation. L’équipe revient aussi sur la construction de l’allure respectable du personnage de Choi Min-sik, tout comme le fossé de classe devant transparaître dans les tenues des victimes. L’usage du numérique dans la composition de plan ou les mouvements de caméra est expliqué dans le détail, avec une équipe toujours poussée au défi par les idées folles de Park Chan-wook, tel que ce trucage sur une mouche.

Des images de la présentation du film à la Mostra de Venise (8 min), à l’issue de laquelle Park Chan-wook avoue qu’il espérait la plus haute récompense – la radicalité du film en a décidé autrement – il obtiendra tout de même le Lionceau d’Or et Prix « cinéma du futur » – et l’on peut voir des moments de la conférence de presse où il explique ses intentions, ainsi que des retours positifs de certains journalistes à l’issue de la première projection. Une belle archive chargée de souvenirs.

La version « fade to black and white” du film, sorte de montage alternatif renforçant ou atténuant certaines option narratives et esthétiques de la version cinéma.

La bande-annonce cinéma française d’origine et restaurée pour l’occasion.

Lady Vengeance de Park Chan-Wook. Corée du Sud. 2005. Disponible en coffret collector Blu-Ray/UHD le 11/10/2024 chez Metropolitan Filmexport.