VIDEO – Sympathy for Mr. Vengeance de Park Chan-wook

Posté le 11 octobre 2024 par

La trilogie de la vengeance de Park Chan-wook, immense morceau de cinéma coréen, revient en édition Blu-Ray/UHD dans un superbe coffret chez Metropolitan Filmexport. Sympathy for Mr. Vengeance en est le premier opus, à l’origine sorti en 2002. Film par Jérémy Coifman ; Bonus par Justin Kwedi.

Ryu est sourd et muet, une situation tout aussi difficile pour lui que pour les autres. Il a une sœur extrêmement malade. Travaillant à l’usine, l’argent gagné ne suffit pas pour lui assurer des soins décents. Il passe son temps entre sa fiancée, une gauchiste extrémiste, et sa sœur qui souffre le martyre. Sympathy for Mr.Vengeance part comme une comédie dramatique totalement décalée.

Avec un sens du cadre et de la bizarrerie incroyable, Park Chan-wook pose les premières pierres d’une tragédie qu’on voit venir au fur et à mesure. La première partie montre le quotidien de Ryu, entre des passages à l’hôpital, les nuits difficiles dans son appartement bruyant et ses journées harassantes à l’usine. L’ambiance y est déjà très lourde. Peu de dialogues, une musique dissonante, un cadre étouffant. Puis, Ryu est renvoyé de l’usine, il y a le don du rein, les 10 millions de wons et voilà le couple improbable en quête d’argent préparant l’enlèvement de la petite fille de l’ancien patron de Ryu. Malgré l’angoisse diffuse que donne la superbe mise en scène de Park Chan-wook, cette première partie apparaît franchement drôle et absurde.

On fait peu à peu la connaissance du patron, Dong-Jin (Song Kang-ho, toujours parfait). Il est d’abord montré comme un homme froid et sans pitié pour ses employés (la scène hallucinante de l’homme viré qui vient se lacérer au cutter devant lui). Le kidnapping a lieu, et les dernières pièces sont en place. C’est inéluctable, les personnages ont tous scellé leur destin.

Le destin joue bien des tours aux protagonistes, si bien qu’arrivé à la moitié du métrage, on ne rit plus du tout. Le tour de force de Park Chan-wook est d’avoir évité tout manichéisme. Aucun personnage n’est vraiment détestable. Ils sont tous « instrumentalisés », comme dans toute bonne tragédie qui se respecte. Ryu est un kidnappeur, mais il est une victime de la politique de son usine, de la vie, des circonstances. Tandis que Dong-jin, bien que patron, est un père avant tout. Il aurait été facile de montrer un méchant kidnappeur contre un homme sans reproches, avançant sans peur dans sa quête de vengeance. Dans Sympathy for Mr. Vengeance, rien n’est aussi simple. La vengeance est aveugle. La deuxième heure nous fait logiquement basculer dans le quotidien de Dong-jin et il apparaît clairement que les évènements lui font peu à peu perdre pied. Le personnage perd toute rationalité. Il est maintenant l’instrument de la vengeance. Pas un vigilante, comme on peut en voir souvent, mais un homme complètement perdu, qui ne peut décemment pas faire la part des choses.

La vengeance est nauséabonde, horrible jusqu’à l’écœurement. Pourtant, on ne trouve personne à blâmer et c’est là que le film met extrêmement mal à l’aise. Chacun des protagonistes apparaît à un moment ou à un autre attachant. Ils sont humains, et c’est cette humanisation qui rend les choses difficilement appréhendables. On ne sait vraiment pas quoi penser, emporté par un malaise continu. Toute cette situation est juste complètement absurde, et Park Chan-wook parle de petits riens qui font basculer l’existence. La vengeance est dans la nature humaine, elle est impitoyable, fait perdre toute raison et surtout elle est sans fin. Sympathy for Mr. Vengeance est un véritable bijou de noirceur.

BONUS

Rencontre avec Park Chan-wook (15 min) : une interview issue de la première édition DVD du film. Le réalisateur y dépeint l’écriture de Sympathy for Mr. Vengeance comme une volonté de parler de la lutte des classes, selon lui peu évoquée à cette période dans les médias et cinéma coréens. Le film se fait donc l’expression d’une colère étouffée dans la vie réelle, la description d’une spirale pessimiste entraînant des personnages naïfs et innocents. Park Chan-wook revient sur le casting, ses échanges avec les acteurs pour leur faire comprendre leurs personnages, les clés idéologiques à assimiler dans leur performance. Il évoque ensuite la structure particulière recherchée dans sa narration, les émotions contradictoires qu’il cherchait à provoquer chez le spectateur.

Un making-of divisé en plusieurs modules de thématiques. Le premier module (5min) montre le méticuleux apprentissage du langage des signes par les acteurs, le second (8min) s’attarde sur différents moments de tournage, dont un en extérieur sous de rugueuses températures. C’est l’occasion d’observer Song Kang-ho au travail et de l’écouter livrer ses impressions sur son personnage, les éléments du scénario l’ayant intéressé et aidé à façonner son interprétation. Le tournage d’une des scènes les plus éprouvantes (la torture à l’électrocution) permet de constater que les films les plus sinistres n’empêchent pas les tournages joyeux, et l’on est impressionné par l’implication physique et émotionnelle de Bae Doona que l’on voit craquer lors d’un autre fameux moment. Le troisième segment (7 min) montre le travail des maquilleurs, impressionnant et méticuleux sur certaines séquences glaçantes comme l’autopsie ou différentes agressions sanglantes à l’arme blanche. Le dernier segment recense les caméos du film, des petits rôles amis du réalisateur ou de son entourage dont il dépeint les conditions les ayant amenés sur le film et vante la brève mais cruciale apparition de chacun.

Une série de courtes interviews des acteurs sur le tournage, ou quelques mois après. Song Kang-ho (5 min) explique à quel point la force de son rôle et la singularité du projet l’ont à la fois fasciné et effrayé, tant il détonait dans la production coréenne. Cela l’a effrayé mais paradoxalement incité à accepter le rôle après un premier refus, dans une volonté d’affronter un type de rôle plus complexe dans une véritable tragédie. Bae Doona (3 min) semble quant à elle avoir été intéressé par la présence de Park Chan-wook dont elle avait apprécié JSA, le scénario et son personnage confirmant cette bonne impression et l’incitant à accepter le rôle. Elle évoque les scènes ayant été les plus dures à jouer pour elle. On retiendra aussi l’étonnant entretien avec Han Bo-bae jouant la petite fille, très lucide sur la noirceur du film et le sort de son personnage, mais apparemment mise dans de bonnes conditions sur le tournage durant lequel elle semble s’être bien amusée.

Deux modules d’entretiens avec la direction artistique (9min) et technique (12 min) du film. Les deux parties et tonalités distinctes du film ont incité à l’usage de codes couleurs spécifiques dont les partis-pris sont plus ou moins visibles selon que les scènes aient lieux en intérieur ou extérieur. Les styles architecturaux variés de Séoul semblent avoir beaucoup aidé dans ces émotions contrastées, dans l’usage de vieux bâtiments abandonnés, d’appartements permettant un dispositif presque théâtral pour certains décors. On ressent la grande attention de Park Chan-wook pour les détails les plus infimes des décors dont les aspérités révèlent toutes un pan psychologique essentiel et subtil des personnages, ainsi que du propos social du film. Sa mise en scène, le format, ainsi que le choix des objectifs découlent de cette réflexion, tout comme les éclairages non classiques conférant sa tonalité sinistre au film.

Cette préparation maniaque s’observe dans le bonus suivant avec trois storyboards animés de séquences-clés du film (les trafiquants, la rivière et les anarchistes).

Trois courts modules reviennent sur l’ambiance sonore à travers le travail de mixage sonores et la confection de la bande-originale, le choix des morceaux apparaissant dans le film. Park Chan-wook souhaitait une bande-originale surgissant de manière peu conventionnelle dans le récit, afin de surprendre le spectateur, en particulier le thème principal.

La bande-annonce (0min52) française du film.

Sympathy for Mr. Vengeance de Park Chan-wook. Corée du Sud. 2002. Disponible en coffret collector Blu-Ray/UHD le 11/10/2024 chez Metropolitan Filmexport.