VIDEO – After Separation de Xia Gang

Posté le 30 septembre 2024 par

Xia Gang est un réalisateur de la Cinquième génération du cinéma chinois, assez méconnu en occident. After Separation est son film le plus réputé et une comédie dramatique éloignée des élans esthétiques de Zhang Yimou, Chen Kaige, Tian Zhuangzhuang, ce qui rend difficile la comparaison avec le reste du courant auquel appartient son réalisateur. Le film est ressorti dans une magnifique édition d’import chinoise, dans le label World Cinema Library (WCL) de l’éditeur Disk Kino.

Gu Yan accompagne sa femme à l’aéroport : elle part pour un long voyage à l’étranger. Sur place, il tombe sur un jeune couple dont le mari est pressé de partir lui aussi à l’étranger alors que son épouse, Zhouyun, est en plein malaise. Gu Yan est chargé d’accompagner Zhouyun à l’hôpital, où la jeune femme avortera. Éloignés de leur conjoint, les deux comparses se mettent en tête de compenser le manque d’une vie familiale en jouant au mari et à la femme de manière platonique.

Un nom dans l’équipe du film doit retenir notre attention : celui de Feng Xiaogang, au scénario. Difficile de ne pas voir y une proximité stylistique entre After Separation et You are the One, une autre comédie romantique qu’il scénarise et réalise en 2008, avec le même acteur, Ge You, et dans laquelle on y décèle également son style d’écriture flegmatique singulier. Dans les deux cas, il y est décrit une relation amoureuse qui débute avec beaucoup de distance et d’élucubrations philosophiques.

Pendant la majeure partie d’After Separation, la mise en scène se veut très terre à terre, aussi bien en matière de design sonore (peu de musique intervient pour égayer l’action) que d’évolution des personnages. Long d’1h34, le film pose son plot très vite et le maintient tel quel un long moment, qui consiste en le portrait d’époux ou d’épouses lâchés par leurs conjoints qui partent pour affaires à l’international, en misant beaucoup sur un ton décalé, notamment émanant de l’acting pince sans-rire de Ge You, et la blague du divorce inéluctable qui revient régulièrement. Tous ces couples qui se séparent aussi longtemps, aussi loin, si ce n’est pas une autoroute vers la divorce une fois que le conjoint est bien installé dans un autre pays !

Pendant une bonne partie du métrage donc, l’intérêt se maintient à peine car le travail de Xia Gang et Feng Xiaogang se tient sur trop peu d’éléments qui accrochent le spectateur. Même si, parmi eux, en creux, le film cherche à montrer l’un des nouveaux visages de la Chine en ce début des années 1990, celui de l’apparition de la nouvelle classe moyenne, et se révèle plus qu’intéressant à cet égard. Après des décennies d’isolement et de répression, la mondialisation parvient dans l’Empire du milieu. On le voit aux nombreuses références américaines qui apparaissaient dans la direction artistique, surtout en matière de vêtements (pull représentant le drapeau américain, casquettes de baseball), via des posters ou des cadres de films ou spectacles occidentaux – là où leurs équivalents chinois sont tout bonnement absents ; rarement un film chinois peignant le contemporain n’aura autant cherché à dissimuler les attributs de la culture chinoise au profit des marques de la culture américano-mondialisée.

D’une part, une narration vaguement décalée, molle, d’autre part, une photographie de la nouvelle Chine connaissant la mondialisation et le capitalisme ; ces deux attributs se rejoignent et resserrent l’intérêt du film à travers les dix belles dernières minutes du métrage, où tout ce qui fait le sel de la personnalité de Gu Yan, interprété par Ge You, sa retenue, ses manières avenantes et sa bienveillance ressurgissent de manière forte, à travers une scène filmée de manière assez banale (en en décuplant ainsi l’effet). La complexité et la subtilité de l’écriture de Feng Xiaogang révèle alors toutes ses saveurs, et met l’emphase sur l’humain, et notamment sur un personnage à la masculinité positive.

Loin des élans plastiques iconoclastes de Zhang Yimou façon Le Sorgho rouge ou Épouses et concubines, de la redéfinition totale du cinéma de Chine continentale qu’a opéré Chen Kaige avec Terre jaune, de la mise en scène sidérante de Tian Zhuangzhuang dans Le Voleur de chevaux ou des peintures dystopiennes de l’administration chinoise que sont L’Affaire du canon noir et Dislocation de Huang Jianxin, Xia Gang est, avec After Seperation, le cinéaste d’un certain quotidien de la nouvelle classe moyenne chinoise, de ses enjeux à échelle humaine et comment résoudre les blessures au cœur qui apparaissent dans ce contexte.

Maxime Bauer.

After Separation de Xia Gang. Chine. 1992. Disponible en import VOSTA chez Disk Kino.