VIDEO – Dislocation de Huang Jianxin : le pantin se libère de son créateur

Posté le 28 mars 2024 par

Le cinéma de Chine continentale a connu son essor international avec sa 5e génération de cinéastes dans les années 1980. Malheureusement, hormis les travaux de Zhang Yimou, il est devenu difficile d’en redécouvrir les grandes œuvres, celles-ci ayant été reléguées en simples mentions dans les cours ou les livres de cinéma chinois. Il reste donc à se tourner vers les imports. C’est ainsi que l’on peut voir les films de Huang Jianxin, réalisateur du film culte The Black Cannon Incident. Mais c’est son second film, Dislocation, qui va nous intéresser ici. Il est sorti récemment dans un magnifique coffret Blu-ray chez l’éditeur chinois Diskino, dans la collection WCL (World Cinema Library).

Un ingénieur est nouvellement nommé à de hautes fonctions dans l’administration. Soucieux de conserver un certain confort de vie, notamment pour entretenir sa relation avec son amie, il fabrique une copie conforme de lui-même sous la forme d’un robot. Physiquement absolument identique, doté de sa propre personnalité qu’il lui a injectée, il a la tâche de participer aux réunions ennuyeuses et sans grand enjeu pour le nouveau haut-fonctionnaire. Mais plus le temps passe, plus la créature suit un chemin mental différent et pourrait vouloir échapper à son maître…

La carrière de Huang Jianxin a malheureusement suivi la même voie que celles de ses comparses Chen Kaige, Zhang Yimou, et dans une moindre mesure Tian Zhuangzhuang. Désormais invité par le gouvernent chinois à mettre en valeur le parti communiste à travers de grandes fresques hautement patriotiques, il a pourtant fait ses débuts avec de véritables œuvres de rupture au sein de la Cinquième génération, parmi les plus acides vis-à-vis de l’administration et le pouvoir en place. Son premier film, The Black Cannon Incident, sorti en 1985, est un objet filmique difficile à catégoriser, une sorte de comédie dramatique, dont l’absurdité de l’intrigue fait rire mais cherche aussi à provoquer la gêne. On y suit un fonctionnaire, joué par Liu Zifeng, qui suite à un message mal interprété, se trouve mis au placard par l’entreprise publique pour laquelle il travaille comme ingénieur. La paranoïa excessive du système chinois, couplée à un décor d’industrie en expansion et une stylisation étonnante, font de The Black Cannon Incident un film unique et incontournable du cinéma chinois.

Un an plus tard, Huang Jianxin réalise Dislocation, qui est à bien des égards une variation de son premier long-métrage, voire même une séquelle. Liu Zifeng reprend un rôle d’ingénieur, qui cette fois-ci devient cadre de l’administration. Il campe également le robot auquel son personnage donne vie. Tout le film montre la tentation de la créature de posséder sa propre vie, de laisser cours à ses propres désirs et surtout de devenir une individualité. Les années 1980 étaient une période de desserrement partiel en matière de liberté de ton en Chine, ce qui explique l’existence de Dislocation, film pour lequel il n’est bien difficile d’en discerner l’intention : faire valoir l’individualité des Chinois face à une administration tentaculaire dont le mot d’ordre est la constitution d’un collectif en ordre de marche. Jia Zhang-ke en fera son sujet dans Platform en 2000, en réalisant justement le portrait de ces Chinois des années 1980 qui accèdent peu à peu à des aspirations plus précises, en dépit de la résistance de la politique en haut-lieu.

Parmi ces films à la charge politique étonnante de la Cinquième génération – dont on pourrait également citer King of the Children de Chen Kaige, Vivre ! de Zhang Yimou et In the Heat of the Sun de Jiang WenDislocation est parmi les plus radicaux. Comme dit plus haut, son message est plutôt frontal, peu crypté, et il est parfaitement servi par une mise en scène extrêmement plastique. Inspiré par l’expressionnisme, Huang Jianxin peint une Chine fantaisiste, pas même nommée en tant que telle, où la création d’un androïde montre l’entrée dans le futur, et incarnée par un décor aux couleurs dissonantes – des murs en rouge et noir principalement, qu’un bleu vif vient perturber dans une scène finale iconique.

Dislocation est un film réjouissant, une œuvre sur la liberté envisagée au sein d’un système autoritaire, dans lequel un humour sarcastique tout à fait original se place en bruit de fond. La recherche formelle des plus plaisantes couplée à une intrigue stimulante qui maintient constamment en haleine achève de faire de la deuxième production de Huang Jianxin chez Xi’an Studios une œuvre à redécouvrir massivement.

BONUS

Comme toutes les sorties de Diskino dans la collection WCL, le film est présenté dans un magnifique coffret au design à faire rougir les confrères éditeurs du monde entier, et comporte de nombreux bonus, malheureusement pour l’essentiel en chinois uniquement (2 livrets, l’un analysant le film et ponctué de photos, l’autre le script sous forme livresque). Reste quelques goodies (poster, lobbycards) et un module vidéo en anglais : un commentaire de Tony Rayns sur le film. Le disque Blu-ray est region free et comporte des sous-titres anglais pour le film.

Maxime Bauer.

Dislocation de Huang Jianxin. Chine. 1986. Disponible en coffret Blu-ray VOSTA chez Diskino en janvier 2024.

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