C’est à retrouver à l’Étrange Festival 2024, dans le cadre de la carte blanche accordée à la revue Métal Hurlant pour ses 50 ans : Les Évadés de l’espace de Fukasaku Kinji, un space opera bariolé, inspiré de Star Wars et à l’origine de la série San Ku Kaï.
La planète Jillucia, autrefois paisible, a été colonisée par l’empire Gavanas. Son peuple vit désormais sous le joug du tyrannique Rockseia XII. Refusant de plier face à l’ennemi, le chef des Jilluciens s’en remet au Dieu Liabé en dispersant huit noix divines à travers l’univers qui, selon la légende, seront capables de découvrir les huit valeureux guerriers qui uniront leurs forces en vue de libérer la planète occupée…
Mai 1977. La Guerre des étoiles sort sur les écrans américains, remporte un triomphe historique qui révolutionne l’industrie du cinéma et relance la SF à grand spectacle pour les prochaines années. Alors que le succès se propage à travers les différents box-offices mondiaux, le Japon dispose encore d’une petite marge puisque le film ne doit y sortir que plus d’un an plus tard, fin 1978. La Toei décide de couper l’herbe sous le pied du blockbuster américain en dépêchant un projet qui doit le précéder de quelques mois. Ce sera Les Évadés de l’espace. Les emprunts et relecture de l’original sont flagrants, tant au niveau du récit que formellement : Esmeralida (Shihomi Etsuko) aux allures de simili Princesse Leia, la mise en scène soulignant la disposition totalitaire des troupes Gavanas, la mystique de la Force matérialisée par les noix de Liabé…
Néanmoins, sur ce fond et cette forme, Les Évadés de l’espace parvient à trouver son identité. Le space opera est déjà une tendance au Japon à cette période, notamment dans le registre de l’animation avec la série Space Battleship Yamato en partie chapeautée par Leiji Matsumoto, créateur de Captain Harlock/Albator. Le Japon a aussi une tradition de SF spectaculaire à travers le kaiju-eiga (Godzilla, Gamera, Rodan et consort…) dont le savoir-faire va être appliqué et remis au goût du jour à l’aune du space opera triomphant. Les Évadés de l’espace décalque donc nombre de figures de Star Wars dont les batailles spatiales, la démesure et les sens du détail sur des maquettes allant de l’impressionnante citadelle des Gavanas aux navettes bondissantes des héros. On oscille entre cette tradition et l’annonce du futur de la SF japonaise avec plusieurs trucages qui préfigurent les tokusatsus comme Gavan/X-Or ou Sharivan dont l’arsenal sera mis en valeur dans une esthétique équivalent et améliorée, tout comme le dérivé direct qu’est la série San Ku Kaï.
Malgré une charmante naïveté et un univers moins rigoureusement installé que justement Star Wars, le film est plutôt prenant et mouvementé. Les Évadés de l’espace est une relecture SF des Huit chiens de Satomi, récit épique de Kyokutei Bakin publié au XIXe siècle (mais se déroulant à l’ère Sengokou) et c’est une manière de conférer une identité japonaise au film sorti de sa mise en production opportuniste. Un retour du berger à la bergère puisque Stars Wars et plus particulièrement cet épisode 4 puise aussi une grande part de son inspiration dans la culture japonaise. Le film est l’occasion de voir Fukasaku Kinji dans un autre registre que les yakuza-eiga qui ont fait sa gloire. Réalisateur star de la Toei, il est rompu aux grosses productions (le segment japonais du film de guerre hollywoodien Tora ! Tora Tora ! (1970)) et même à la SF avec La Bataille au-delà des étoiles (1968). On retrouve aussi l’excentricité dont il est capable dans la caractérisation haute en couleurs des méchants qui fera école dans le tokusatsu. Malgré ses imperfections, Les Évadés de l’espace est un spectacle conservant sa capacité d’émerveillement, et réussira dans la mission pour laquelle il a été conçu en remportant un succès supérieur à au premier Star Wars au Japon.
Justin Kwedi.
Les Évadés de l’espace de Fukasaku Kinji. Japon. 1978. Projeté à l’Étrange Festival 2024.