Pan conséquent de l’univers audiovisuel taïwanais, les séries et films de marionnettes de Studio Pili ont une réputation d’œuvres étonnantes à découvrir. Alors que la série des années 2010 Thunderbolt Fantasy, coproduite par le Japon, est accessible sur Crunchyroll, Spectrum Films nous propose deux œuvres majeures du studio en coffret, et notamment son premier long-métrage de cinéma : Legend of the Sacred Stone, sorti en 2000 et réalisé par Chris Huang, meneur actuel de la société et petit-fils du créateur des personnages.
Alors que six sectes d’arts martiaux ont triomphé du démon Mo Kuei, ce dernier n’a pas dit son dernier mot et envoie ses troupes, appelées les Malveillants, à la recherche de la pierre sacrée capable d’exaucer n’importe quel vœu. Hong-Chen et Su Huan-jen, deux valeureux héros martiaux à la noblesse d’âme, devront surmonter leur vieille rancune pour empêcher les Malveillants d’arriver à leur fin. En parallèle, le Protecteur, ancien grand maître défiguré au combat, souhaite lui aussi à tout prix mettre la main sur l’item magique tant convoité, et demande à sa fille Jian Ru-bing de lui venir en aide…
Dans les années 1990, le budaixi, le spectacle de marionnettes taïwanais, est en plein maturation. Le Studio Pili, créé dans les années 1980, a modernisé cette tradition artistique séculaire née dans le Fujian en Chine, et popularise une cohorte de protagonistes qui séduisent le public de l’Île de Formose, notamment à travers la série simplement intitulée Pili. C’est de cet univers qu’est tiré le charismatique Su Huan-jen, personnage de chevalier errant valeureux et au cœur bon. Ce héros et son univers font leurs débuts sur les grands écrans en 2000 avec Legend of the Sacred Stone ; le réalisateur et président de la société Chris Huang ambitionnait de se rendre sur le terrain du cinéma en grande pompe. Le film remporta un certain succès en nombre d’entrées, et Chris Huang n’a jamais démenti d’étendre la portée de la tradition artistique qu’il a héritée de son grand-père. Il faudra cependant attendre les années 2010 avec la série Thunderbolt Fantasy, coproduite avec le Japon, et les années 2020 avec le troisième film du studio, Demigod, pour qu’on entende réellement parler à l’international de l’univers de marionnettes de la famille Huang.
Disons-le d’emblée : Legend of the Sacred Stone est un film difficile d’accès pour pas mal de monde, en raison du fait qu’il s’inscrit pleinement dans l’univers de la série Pili peu visible en dehors de Taïwan. Cependant, comme Demigod est une préquelle à l’histoire du personnage de Su Huan-jen, et comme les séries à l’image de Thunderbolt Fantasy apparaissent sans les précédentes, voyons cette épopée comme peuvent l’être les comics américains, où il est impossible de commencer par le début et suivre le déroulé de l’intrigue de manière linéaire. Il nous faut accepter d’arriver en cours de route et de se saisir du projet artistique en l’état, quitte à étoffer notre connaissance du monde de Pili plus tard en picorant les séries en fonction de leur disponibilité. Après tout, l’univers Pili est traversé d’innombrables personnages (4000 dit-on) qui vivent de multiples cycles.
Legend of the Sacred Stone commence donc en cours de route, in medias res d’une bataille épique entre plusieurs sectes d’arts martiaux. Cette introduction grandiloquente terminée, le vrai scénario du film commence, avec un groupe d’assassins maléfiques, un vieux maître défiguré (le Protecteur) et revanchard versus deux héros de wuxia parfaitement élégants, protagonistes auxquels s’ajoute la fille du Protecteur, dont le cœur balance entre son dévouement au père et son sens de la justice et de la bonté. Legend of the Sacred Stone est un authentique wuxia (ou xianxia si l’on considère les pouvoirs surnaturels qui habitent le monde de Pili), puisant jusque dans la plus grande tradition littéraire chinoise, et à cet effet, les personnages sont archétypaux. Ni une qualité, ni une tare, le recours à une écriture traditionnelle des personnages est valorisée par les autres éléments d’un film. Clairement, voir les marionnettes bouger à la place d’acteurs, ou à la place d’animation en stop-motion, a quelque chose de rare au cinéma et offre une plus-value certaine au film et à la marque Pili. Le bémol, et pas des moindres, réside dans la date de production du film, 1999, période qui nous a servi d’étranges objets filmiques dans le monde sinophone, comme Storm Riders et A Man Called Hero. Que ce soient ces films d’Andrew Lau ou l’œuvre de Chris Huang sortie en cette fin de XXe siècle, les CGI de qualité extrêmement douteuse peinent à être oubliés dans l’appréciation que l’on porte aux films.
Legend of the Sacred Stone a une place spéciale dans le cinéma commercial taïwanais ; il est vecteur d’une tradition qui rend les Taïwanais fiers de leur culture et le témoin de la dynamique de son temps et de l’entrée tonitruante d’un mastodonte de la télévision dans les salles obscures. Ses effets spéciaux ont vraiment vieilli (ont-ils été réellement à la page un jour ?) et son schéma narratif, demandant de connaître un plus grand univers au préalable, est déroutant et parfois décevant. Il augure malgré tout la venue de Demigod, un film bien plus abouti à tous les niveaux.
Maxime Bauer.
Legend of the Sacred Stone de Chris Huang. Taïwan. 2000. Disponible dans le coffret Studio Pili paru chez Spectrum Films en juillet 2024.