Le 30° Ningbo Short Film Festival et le Festival Allers-Retours se sont associés pour proposer le 15 juin 2024 une sélection de cinq courts-métrages d’auteurs chinois au Studio des Ursulines, tous projetés à l’origine lors de la dernière édition de ce festival dédié au format court de Ningbo dans le Zhejiang en Chine. En reprise dans plusieurs villes du monde, Allers-Retours en a choisi quatre pour la version parisienne, plus un court soutenu spécifiquement par le 30° NSSF.
Assister à la projection de courts-métrages chinois est l’occasion non seulement de jauger ce qui anime la jeunesse de ce pays à travers le médium cinématographique – car ce sont souvent de jeunes cinéastes ou des étudiants qui sont les auteurs de courts-métrages, mais aussi d’assister à un feu d’artifice créatif qui prend toutes les formes possibles que le cinéma permet. Dans cette sélection issue du 30° NSFF, un film d’animation, deux fictions et deux documentaires ont formé un joli panel de films, qui témoigne d’une légère évolution des thématiques des cinéastes chinois après trois années de pandémie qui les a durement touchés.
What You Can’t See de Qiu Yu (30 min)
Yiwei, une lycéenne de Shenzhen prend régulièrement la route vers Hong Kong pour accompagner son père routier. Elle en profite pour faire de la revente de marchandise auprès de ses camarades. Dans les locaux où son père exerce, elle rencontre une migrante vietnamienne qui rêve d’aller à Hong Kong, et se lie d’amitié avec elle.
Ce court dure 30 minutes et offre une intrigue de fiction complète, bien produite. Que ce soient en décors d’intérieurs ou filmés en extérieur, le film porte un soin particulier à développer un scénario dramatique et à permettre à son héroïne d’être confrontée à des évènements graves, face auxquels elle devra, à 16 ans seulement, prendre des décisions non sans conséquences en accord avec son intégrité. Le personnage de la Vietnamienne apporte avec lui une part de spiritualité étrangère, une composante qui manque à Yiwei pour grandir et faire l’expérience de la vie. What You Can’t See s’autorise, en plus de brosser un joli portrait d’une jeunesse ouverte vers l’autre, à critiquer certains comportements adultes, comme tomber dans la malversation pour le mafieux qui gère le business ou perdre le contrôle de sa vie en trempant dans des affaires louches, comme le père de Yiwei.
The Bee and the Fly de Su Xia (6 min)
Une mouche apprend à une guêpe comment suivre les humains pour ne manquer de rien. Six minutes royalement animées qui caricaturent l’espèce humaine avec un humour mordant. Les deux bestioles sont elles-mêmes anthropomorphisées, donnant ainsi le sentiment que l’auteur chercher plutôt à ironiser sur la façon dont l’être humain peut se montrer parasite et profiter des autres pour vivre dans la nonchalance – les humains géants du film sont d’ailleurs en pleine mondanité.
To the Cloud de Liu Hui (30 min)
Ce documentaire suit sept porteurs de marchandises chargés d’alimenter les boutiques du site touristique du mont Tai’an, et comment la pandémie a perturbé leur moyen de subsistance. Au-delà de la description de ce métier ingrat, qui rappelle lointainement Wang Bing lorsqu’il offre de la visibilité aux ouvriers et travailleurs précaires qui comptent chaque sou, le réalisateur Liu Hui a eu la bonne idée de présenter chaque protagoniste en mettant en avant des traits de caractères et leurs surnoms (l’un est appelé « le roi des porteurs », un autre est starifié et passe à la télévision de la province, etc.), générant ainsi un sentiment de sympathie à leur égard, là où un documentaire plus classique se serait révélé sans doute trop austère, voire un brin misérabiliste.
Dingyuan Miscellaneous Records de Li Binbin (15 min)
Un chaman à la retraite, désespéré depuis la mort de sa fille, est rappelé pour guider une âme dans l’au-delà, qui se serait réfugiée dans une vache sur le point de mettre bas. En 15 minutes, ce court offre une respiration contemplative à la sélection. Le rythme aéré laisse la part belle à l’intériorité des personnages et fait voyager le spectateur aux confins du mystique, avec cette vache qui suit le chaman et semble vouloir dialoguer avec lui.
One Yuan Tea House de Ye Shijie (22 min)
Court-métrage promu par le 30° NSFF, One Yuan Tea House relève de ces travaux documentaires visant à laisser un témoignage d’un établissement ou d’une culture sur le point de disparaître. Deux jeunes interviewers questionnent le tenancier d’un salon de thé ouvert en 1896, un propriétaire extrêmement âgé qui ne semble pas trouver de repreneur. On y découvre une communauté qui s’entraide pour faire ce subsister cet endroit où on peut boire un thé pour 1 yuan. Sans sens du tragique, ce court réalise un état des lieux charmant d’un endroit qui a traversé les époques. On pourrait seulement lui reprocher des plans et transitions un peu trop « cartes postales ».
La tonalité des courts de la sélection n’est pas imprégnée d’ondes négatives, y compris sur des sujets sociaux et économiques concernant des populations marginalisées (les porteurs, le village de la maison de thé, deux communautés qui vieillissent mais qui sont présentées en véritables stars). Les fictions elles, si elles mettent en situation une forme de tragédie (l’observation de la misère de la condition des migrants, un père qui ne se remet pas de la disparition de sa fille), finissent tournées vers le futur, et même, le futur par la descendance (une héroïne de 16 ans qui a tout l’avenir devant elle, un être réincarné). C’est là l’élément notable qui montre de nouveaux artistes chinois tournés du côté de la lumière.
Maxime Bauer.
Ningbo Special Screening, cinq courts-métrages chinois à Paris issus du 30° Ningbo Short Film Festival, session organisée par le Festival Allers-Retours. 2023. Chine. Séance le 15/06/2024.