Depuis une petite dizaine d’années, Hong Kong trouve plus que jamais terrain fertile dans le documentaire pour raconter les tumultes de son histoire passée, présente et future. C’est le cas de Jessay Tsang Tsui-shan, jeune cinéaste habituée des thématiques du foyer, de l’exil et de la réunion, qui réalise Flowing Stories en 2014 pour donner une voix à un aspect souvent omis au cinéma : les Nouveaux Territoires et ses habitants. Le documentaire était projeté au Forum des Images en 2024 dans le cadre du cycle Portait de Hong Kong.
A travers les récits d’une matriarche et des membres de sa famille éparpillés dans toute l’Europe, nous découvrons un Hong Kong rural, dans lequel il est question d’héritage, de traditions et de modernité, de préservation et de changement.
Qu’il soit de l’ordre du documentaire ou de la fiction, le cinéma de Hong Kong nous apparaît de prime abord comme un cinéma avant tout urbain, fort de son aptitude à se frayer un chemin dans la jungle de gratte-ciels de l’île principale et de Kowloon. Pourtant, les Nouveaux Territoires, bien que moins densément peuplés que le cœur de la ville et où l’activité humaine réduite préserve encore une partie de ses paysages ancestraux, ont aussi leur histoire à raconter. Le petit village de Ho Chung, sur la péninsule de Sai Kung, intéresse la cinéaste Jessay Tsang Tsui-shan depuis longtemps, si bien qu’elle y réalise déjà un film de fiction en 2011 baptisé Big Blue Lake en vue de construire le cheminement de la mémoire hongkongaise qui sera celui d’une bonne partie de sa filmographie à venir.
C’est dans ce même village qu’elle retourne quelques années plus tard pour réaliser Flowing Stories, portrait d’un territoire culturellement et historiquement riche de plusieurs siècles mais aujourd’hui déserté de la quasi totalité de ses autochtones. En effet, ceux-ci ont tous émigré et ont bâti leur vie ailleurs en Europe, entre la France et l’Ecosse, mais se retrouvent ponctuellement à Ho Chung pour y célébrer les fêtes traditionnelles du village. Jessay Tsang Tsui-shan part à la rencontre d’une matriarche arrachée à sa terre natale et des membres de sa famille éparpillés sur tout le continent européen pour y questionner le poids du souvenir, tout à la fois celui de la mémoire personnelle et de la mémoire collective. Avec un dispositif réduit d’une caméra et de quelques images d’archive, dans le sillage du cinéma de l’exil d’Ann Hui, les différents sujets sont librement approchés afin que ceux-ci confessent leur attachement (ou non) au petit village de Ho Chung, qu’ils ne connaissent bien souvent qu’au travers des histoires familiales qui se perpétuent de génération en génération. Pourtant, aussi dépeuplé soit-il aujourd’hui, Ho Chung continue d’être depuis l’autre bout du monde à force de l’attraction qu’il provoque sur ces familles, et lors des festivités du temple de Che Kung qui ont lieu tous les dix ans et rappellent l’existence de cet ilot autrefois paisible. Teinté de nostalgie, Flowing Stories s’assure d’immortaliser sur pellicule le destin parfois amer de ces villageois ayant fui un jour pour de multiples raisons, tout autant que le village en lui-même, fragile et contraint de suivre le rythme incessant de la modernité.
Richard Guerry.
Flowing Stories de Jessay Tsang Tsui-shan. 2014. Hong Kong. Projeté au Forum des Images en 2024 dans le cadre du cycle Portrait de Hong Kong.