CINEMA INTERDIT 2024 – Holy Mother de Nishimura Yoshihiro

Posté le 6 juin 2024 par

Avant-dernier film de Nishimura Yoshihiro, Holy Mother a été présenté dans le cadre de cette deuxième édition de Cinéma Interdit. Le réalisateur culte nous livre ici un film dingue à mi-chemin entre le splatter, le cyberpunk, le film de yakuza et la farce grotesque-nansensu.

Des yakuzas chinois se font attaquer par un groupe criminel raciste. C’est alors qu’apparaît une femme pour les défendre et les venger.

Holy Mother est un objet cinématographique bien étrange : lorgnant dans tous les recoins du cinéma, il en ressort un métrage furieux et totalement instable, pour le plus grand plaisir du spectateur. Le style de Nishimura a toujours été reconnaissable par son mauvais goût assumé, son gore ostentatoire et son sens de l’humour tordu. Cet étrange film ne dévie pas de la règle : humour potache, femmes-troncs se propulsant dans les airs du fait du sang propulsé par leurs membres sectionnés, personnes coupées en deux et effets pratiques tantôt cheap, tantôt d’un certain charme, sont au rendez-vous. Mais c’est dans sa filiation particulière avec l’ero-guro, bien que déjà largement présente dans la filmographie du cinéaste, que le film se distingue. À son intrigue bien sommaire, Nishimura y mêle tout un tas de sujets très politiques, de manière frontale et assez politiquement incorrecte, à l’instar d’un Maruo ou d’un Kago. La question de la transidentité, du racisme au Japon, du déclin des yakuzas au profit de nouveaux types de criminalité, les questions d’inclusion et de discrimination… Sans jamais les traiter en profondeur, malgré leur présence bien soulignée, le cinéaste joue avec ceux-ci plus qu’il ne les traite, le rapprochant plus que jamais de la fureur politiquement incorrecte du genre et créant, dans le même temps, une opacité entre le film et le spectateur qui, loin d’être dérangeante, fait tout le charme du film.

Cette incertitude quant à ce que l’on voit est probablement ce qui fonctionne le mieux avec Holy Mother. Le film a-t-il quelque chose à dire ? Peut-être, certainement même. Mais il n’est pas question de le rendre clair ou compréhensible. Ce que veut nous proposer Nishimura est un délire : d’où cette filiation très ténue avec l’ero-guro. De plus, Holy Mother est bel et bien un film à ambiance. Il est très étrange de le qualifier comme tel, surtout pour un film de Nishimura que lui-même présente comme un simple splatter. Cependant, son aspect cyberpunk très léché, mêlé à du body-horror aussi charmant que délirant, en plus de son personnage principal mutique et iconisé participent de cette ambiance si particulière. Le cinéaste arrive l’exploit, une fois n’est pas coutume dans sa filmographie, d’allier goguenard, mauvais goût et farce grotesque à une certaine patine presque classieuse et minutieuse dans son chaos ambiant.

Holy Mother s’apprécie donc comme un ride fou, trash, jouissif et qui ne semble jamais s’arrêter. S’il souffre, comme souvent chez le cinéaste, de petites longueurs et d’une auto-suffisance parfois un peu facile (mais relativement justifiable tant la folie du projet dépasse nos attentes), ses petits défauts ne suffisent pas à plomber le visionnage qui s’avère rafraîchissant. Même si Nishimura ne prétend pas, derrière ses esbrouffes visuelles, ses costumes imposants et ses effets pratiques impressionnants, faire du grand cinéma, il délivre tout de même un film habité d’une force assez unique et qui n’est que rarement présent dans ce genre de productions, même pour les plus sincères.

Thibaut Das Neves

Holy Mother de Nishimura Yoshihiro. 2022. Japon. Projeté à Cinéma Interdit 2024

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