FESTIVAL DE CANNES 2024 – Rendez-vous avec Pol Pot de Rithy Panh

Posté le 18 mai 2024 par

Pour cette cuvée de Cannes 2024, Rithy Panh, qui fête les 30 ans de sa première venue sur la Croisette, présente Rendez-vous avec Pol Pot, une fiction dans la catégorie Cannes Premières (les avant-premières diffusées pendant le festival), lui qui est plutôt habitué des documentaires. Que ce soit en matière de documentaire ou de fiction, le cinéaste franco-cambodgien décline à l’infinie l’histoire la tragédie des khmers rouges, dans ce qui se révèle être ici un formidable portrait historique du dictateur et ses sbires à travers le voyage officiel de trois journalistes français venus l’interviewer.

Un photographe, une grand reporter et un rédacteur militant communiste débarquent au Cambodge où ils sont accueillis par des membres du parti communiste. Récupérés à l’aéroport, ils sont emmenés dans un endroit inconnu. Peu libres de leurs mouvements, les officiels leur montre un Kampuchea prétendument modèle mais dont il manque beaucoup de morceaux à recoller pour avoir une véritable vue du pays… Ils attendent beaucoup de leur rendez-vous avec Pol Pot, qu’ils doivent interviewer.

Dans Rendez-vous avec Pol Pot, Rithy Panh livre une histoire bouleversante, celle de trois journalistes différents mais animés de la même volonté d’éclairer le monde. Les idéaux du personnage de Grégoire Colin, l’ancien étudiant militant qui a connu Pol Pot à l’université française, vont se heurter à la réalité et le plonger dans un trouble qu’il va somatiser en une dépression, lui faisant traverser le film d’un air hébété. En revanche les personnages d’Irène Jacob, la grande reporter, et Cyril Gueï, le photographe, vont se montrer plus proactifs, jusqu’à mettre le groupe et la mission en danger. Le trio d’acteur est convaincant, très touchant dans leur manière d’aborder leur métier confronté à un mur gigantesque. Les péripéties les concernant imprègnent le récit d’enjeux majeurs, le rendant ainsi passionnant à suivre. Même s’il nous est toujours rappelé que la tragédie des khmers rouges est bien réelle, Rithy Panh, en excellent documentariste, ajuste constamment sa réalisation entre l’intérêt du spectateur et le respect de la mémoire de l’Histoire cambodgienne.

Le cinéaste ne livre pas seulement un récit précis et juste de cette unité de lieu et de temps (récit adapté d’un fait réel relaté dans le livre de l’une des journalistes originelles). En plasticien hors-pair, il mélange les prises de vues sur plateau avec des mises en scène via de petites figurines sculptées en bois, un procédé dont il a déjà usé dans L’Image manquante et qui, en figeant les protagonistes, provoque une sensation de flottement dans le film, et fait entrer les spectateurs en méditation. Il utilise également des images d’archives qu’il mélange à l’action de ses personnages – du type : un acteur regarde un lit dans une maison et le contrechamp est une archive d’une enfant souffrant de la famine – rappelant ainsi quelle fut la situation au Cambodge. Des images insoutenables dont Rithy Panh ne peut se passer pour guérir les maux par le cinéma.

Le pan final du film, dans le palais de Pol Pot, est glaçant. Le personnage de Pol Pot ne dévoilera jamais son visage, toujours dans la pénombre, alors que ses (premières) paroles semblent presque sympathiques et chaleureuses. En quelques lignes de dialogues, Rithy Panh nous rappelle également que les tyrans peuvent parvenir à charmer les foules et les intellectuels. Le fait de montrer le dictateur dans les ténèbres, comme certains autres plans d’ombres et de lumière semés dans le film, semblent invoquer l’expressionnisme, ce qui achève de faire de Rendez-vous avec Pol Pot une œuvre incontournable de la filmographie de Rithy Panh.

Maxime Bauer.

Rendez-vous avec Pol Pot de Rithy Panh. Cambodge/France/Taïwan/Qatar/Turquie. 2024. Présenté au Festival de Cannes 2024.