Alors que De nous jours… étaient dans nos salles il y a 6 mois, et qu’on attend de pied ferme In Water, prévu pour juin 2024, un autre Hong Sang-soo débarque : Walk Up, distribué par Capricci. Malgré ses aspects de beaujolais nouveau, avec son rythme annuel et son lot de bons et de mauvais crus, qu’en est-il de ce nouveau Hong Song-soo ?
Des 27 films réalisés par l’auteur, voici donc le 10ème tourné en noir et blanc (dont 5 produits sur les cinq dernières années). Que faut-il déduire de cette propension récente à éteindre les couleurs d’un cinéma pourtant traversé par le romanesque et le souci pittoresque de saisir les émotions sur le vif ? Walk Up apporte quelques pistes de réponse.
Le récit suit le cinéaste Byung-soo et sa fille Jeong-su alors qu’ils visitent un bâtiment appartenant à Mme Kim, partagent un repas et rencontrent d’autres personnes qui vivent dans le bâtiment. Le même événement se répète plusieurs fois dans différentes variantes. Byung-soo entame plus tard une relation avec une femme dans l’immeuble et emménage dans l’un des appartements.
À nouveau, le cinéaste fait le choix du noir et blanc. D’un noir et blanc fait de douceur et de nuances grises. De ses 63 ans, si l’artiste multiplie les œuvres sans couleur, c’est, au choix, au regard de ce film : par un excès d’affectation esthétique ; par mélancolie du cinéma passé ; par souci d’éteindre l’émerveillement visuel pour mieux signer les contours des silhouettes et faire des émotions du jour autant de chagrins larvés la nuit ?
Pour les fidèles de l’auteur, dans ce cinéma à l’économie, la meilleure porte d’entrée reste celle des acteurs, fétiches de ses films, présents pour l’occasion : Kwon Hye-hyo, Song Seon-mi, Park Mi-so… Autant de visages qui composent des motifs réguliers d’une œuvre obsédée par la cohérence, par-delà les césures. Comme les séquences sont répétées plusieurs fois, l’auteur tient à ressasser ses motifs, à ré-orchestrer sa troupe de comédiens. Il en va des films de l’auteur comme des soirées entre amis : certaines vibrent, d’autres sombrent et quelques-unes résistent par quelques saillies. En l’occurrence, Walk Up fait plutôt partie des 3èmes. Il séduit par quelques truculences inhabituelles, mais somme toute anecdotiques : le serveur d’un café, coréen, tient à se faire appeler Jules (où est Jim ?), les angles de caméra qui osent des contre-plongées quasi-zénithales, un air de guitare joué par Kwon Hae-hyo, dans une belle scène de lâcher-prise, sans sous-entendu lascif ni faux-semblant. Autant de légères incartades du cinéaste, voulues comme des audaces, mais qui rachètent mal une œuvre percluse par l’habitude.
Ici prédomine, pour les coutumiers de l’auteur, un sentiment monotone de répétitions. Le film reprend notamment cette partition musicale des dialogues jouées ad nauseam chez Hong Sang-soo. Reposant sur la mélodie des intonations typiquement sud-coréennes, composées d’envolées et de dernière syllabe traînée de façon plaintive pour exprimer une émotion contrite, résonne ici à nouveau le fameux leitmotiv hongien : un homme et une femme se disputent ; la femme émet alors une critique en laissant traîner la dernière syllabe, à quoi l’homme répond par un silence suivi d’un mot aussi rapide que pétri de gêne, dans une sorte de ping pong joué en mode mineur. Le tout pour rejouer l’imperturbable incommunicabilité des femmes et des hommes.
Les œuvres de Hong Sang-soo ont toujours été très verbeux. Mais cette logorrhée a souvent accompagné un but, des enjeux, l’illustration d’une situation. Depuis plusieurs longs-métrages maintenant (Le Jour d’après, La femme qui s’est enfuie, etc.) et avec Walk Up peut-être plus que jamais, le récit se construit dans une succession de dialogues, de descriptions de vérités intérieures, dans un dénuement dramaturgique qui tend vers une pure ligne claire de la parole, témoignant que l’un des films cibles du cinéma de Hong reste Ma Nuit chez Maud de Rohmer.
Voilà les émotions qui résultent de ce film, tout entier habité par un profond sentiment de mélancolie et de solitude (de lassitude ?), évoquant par là Grass et Hotel by the River. Maintenant, que peut-il en être d’un spectateur qui n’aurait vu aucun long-métrage du cinéaste, qui découvrait par là le cinéma d’un des auteurs sud-coréens actuels les plus singuliers ? Probablement le même effet radical qui a saisi tous ceux qui l’ont découvert la première fois : un rejet puis un goût de reviens-y ou une fascination frontale. Certainement que Walk Up ne déroge pas à la règle.
Flavien Poncet
Walk Up de Hong Sang-soo. Corée du Sud. 2023. En salles le 21/02/2024