VIDEO – Opium and the Kung Fu Master de Tang Chia

Posté le 13 janvier 2024 par

Troisième et dernière réalisation du chorégraphe de la Shaw Brothers Tang Chia, Opium and the Kung Fu Master est aussi son film le plus original. Il est disponible dans le coffret Blu-Ray Spectrum Films dédié au cinéaste, aux côtés de Shaolin Prince et Shaolin Intruders.

Dans la ville chinoise de Kwantung au XIXème siècle, Tie est un maître de kung-fu respecté, figure notable de la cité et dont les disciples assurent la sécurité. Cependant, la fumerie d’opium connaît un succès grandissant et déploie son emprise parmi la population… Tie, lui-même de plus en plus dépendant, ne voit pas qu’un terrible félon arrive à la tête de la fumerie et compte l’éliminer ainsi que ses proches afin d’assoir son pouvoir.

Alors qu’il était l’un des chorégraphes attitrés de Chang Cheh en binôme avec Liu Chia-liang, Tang Chia a dû chercher un nouveau souffle à sa carrière lorsque ses deux collaborateurs se sont brouillés. En deux étapes, il est d’abord devenu le régleur des combats de Chu Yuan, puis profitant de la recherche de nouveaux réalisateurs à la Shaw Brothers, il réalise deux films en 1983 puis un dernier en 1984, cet Opium and the Kung Fu Master. Shaolin Prince et Shaolin Intruders répondaient parfaitement aux canons techniques de la Shaw Brothers, avec ses décors, ses costumes et ses nombreuses scènes d’action millimétrées. Tang Chia se reposait malheureusement un peu trop sur le folklore du temple Shaolin, et ne semblait pas parvenir à faire autre chose que ce qu’il a toujours su faire : régler des combats. La donne change un tantinet avec ce troisième film, dont le cadre, les guerres de l’opium, demeurait un sujet rare ou inédit à la Shaw Brothers et a permis à Tang Chia de montrer en son rôle principal, Tie, joué par Ti Lung, un personnage touchant car flanqué d’une faillite psychologique – la dépendance à la drogue, qui fera de nombreux dommages collatéraux avant que justice ne soit faite. Le personnage de Tie est inspiré de la mythologie entourant l’expert en arts martiaux de la Chine du Sud Leung Kwan, l’un des 10 tigres de Canton.

Que l’on ne s’y trompe pas : Opium and the Kung Fu Master ne verse pas dans le cours d’histoire ; il n’évoque même pas le rôle des Anglais en Chine dans leur diffusion de l’opium comme représailles au refus de l’Empire mandchou Qing de s’ouvrir au commerce international, et ne fait même pas apparaître de silhouettes occidentales. L’administration britannique exerçait encore une censure sur le cinéma de Hong Kong au début des années 1980 (en témoigne le sort réservé à L’Enfer des armes de Tsui Hark, qui a vu son pitch modifié et son début re-tourné en catastrophe), et cela pourrait expliquer ce choix narratif. L’idée d’évoquer les méfaits de l’opium sur les populations chinoises au XIXe siècle reste toutefois un moyen d’évoquer partiellement le sujet et rend le film quelque peu politique. Malgré cela, nous demeurons dans un film de kung-fu de la Shaw, et c’est surtout l’alignement des scènes de combat dans un scénario propice au développement des personnages qui est à retenir. Sur cet aspect, Tang Chia se montre particulièrement inspiré et profite du jeu d’un Ti Lung charismatique en guise de héros tourmenté et d’un Chen Kuai-tai inquiétant comme antagoniste sans foi ni loi, deux acteurs devenus expérimentés depuis leur révélation au public au début des années 1970. Le rythme du film lui-même est intéressant et réfléchi : il débute dans une relativement tranquillité, le temps pour le réalisateur de poser les errements de ses héros et de faire avancer ses pions au vilain. S’en suivent des péripéties d’ordre dramatique, incluant la mort de personnages positifs et attachants, générant une certaines émotion. Enfin, le dénouement a lieu lorsqu’au prix d’efforts à la difficulté palpable – et cela est dû car l’addiction à la drogue est un sujet répandu dans l’actualité d’un spectateur contemporain qui en saisit parfaitement les enjeux – Ti Lung rend, comme on se l’imagine pour un héros vertueux, la justice de manière implacable, quoiqu’en partie à la façon d’un vigilante.

Avec Opium and the Kung Fu Master, Tang Chia livre le meilleur de ses trois films, réalisé de manière rigoureuse comme d’accoutumée mais jouissant d’un matériau scénaristique plus intéressant. Mais Tang Chia ne semble jamais avoir tellement aspiré à la réalisation ou à l’exercice artistique si on lit le sous-texte de ses interviews, et le cinéma d’arts martiaux à l’ancienne ne trouvant plus grâce aux yeux du public d’alors, il interrompt sa carrière de réalisateur. Il demeure l’un de ces artisans qui ont compté pour faire la renommée du cinéma hongkongais.

BONUS

Présentation d’Arnaud Lanuque (10 min). L’expert du cinéma de Hong Kong termine sa présentation des trois films du coffret Tang Chia en soutenant qu’Opium and the Kung Fu Master, film de combat au corps à corps n’étant étrangement pas parvenu dans les mains de Liu Chia-liang, ne sied pas complètement à Tang Chia, dont les chorégraphies sont axées mieux-allant sur les combats avec armes, et pour lequel le scénario ne bénéficie de l’exploitation de toutes ses possibilités et au vu de l’enjeu dramatique et historique que suppose la thématique de l’opium. Il termine en affirmant que, malgré l’arrêt brutal des activités de la Shaw au milieu des années 80 et donc de la semi-retraite de Tang Chia, le réalisateur a livré trois films de kung-fu d’excellente facture qui figurent parmi les incontournables du genre.

Interview de Robert Mak, interprète du disciple de Tie (22 min). L’acteur, à l’époque star montante de la Shaw, évoque ses souvenirs de tournage et de Tang Chia, qu’il qualifie de metteur en scène bienveillant. Il répond franchement sur son sentiment quant à la rivalité entre les réalisateurs à l’époque, d’autant pour son cas personnel où Run Run Shaw et Mona Fong ont validé son rôle dans le film de Tang Chia au détriment de sa participation aux films de Liu Chia-liang chez il était un habitué à ce moment-là. Il pense que Liu l’avait mal pris – même s’il met ses phrases au conditionnel. Enfin, il s’ajoute aux innombrables intervenants des éditions Spectrum Films qui témoignent du manque d’engouement du public hongkongais pour les films de kung-fu en costume vers le milieu des années 80, qui ont mené à la fin de l’ère de la Shaw Brothers.

Enfin, notons que l’édition des 3 films de Tang Chia est agrémentée d’un petit livret de photo de ses films.

Maxime Bauer.

Opium and the Kung Fu Master de Tang Chia. Hong Kong. 1984. Disponible dans le coffret Blu-ray Tang Chia paru chez Spectrum Films en novembre 2023.