Direction le Palais de justice avec Winny de Matsumoto Yusaku, projeté au Festival Kinotayo. L’histoire vraie de Kaneko Isamu, créateur d’un logiciel de partage de fichiers de pair à pair poursuivi par les autorités dans les années 2000 pour violation du droit d’auteur. Un film à ne surtout pas télécharger illégalement.
Japon, novembre 2003. Kaneko Isamu, développeur informatique, est perquisitionné à son domicile par la police. Son crime : il a conçu Winny, un logiciel gratuit de partage de fichiers en pair à pair. L’équivalent japonais de Napster et e-Mule. Il est finalement arrêté en mai 2004 pour violation du droit d’auteur. L’avocat Dan Toshimitsu et son équipe décident de le défendre. La procédure va durer plus de sept ans mais le film s’attarde sur les deux premières années du procès.
Winny raconte l’histoire vraie de Kaneko, considéré comme un développeur de génie, mais dont la carrière s’est arrêtée nette pour avoir créé Winny, l’un des logiciels de partage les plus populaires du Japon. Film de procès oblige, le « grand spectacle » n’est pas de mise. Après la scène d’arrestation introductive, le film fait place à la préparation du procès par les avocats, puis aux scènes d’audiences, très statiques. Par souci de réalisme, le réalisateur Matsumoto Yusaku s’est documenté pendant plus de quatre ans sur l’affaire Winny et le fonctionnement de la justice au Japon. Le tribunal n’est pas le lieu pour déclamer des discours idéologiques mais plutôt la caisse enregistreuse de considérations techniques pour déterminer les peines de l’accusé. Pas de place pour chercher la vérité ou comprendre les motivations qui ont poussé Kaneko à créer son logiciel. Pour le dire clairement : Winny n’est pas Témoin à charge de Billy Wilder, avec ses nombreux rebondissements et les envolées verbales de Charles Laughton. C’est en dehors des scènes d’audiences qu’on pourra comprendre qui est Kaneko et quels sont les enjeux du procès.
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Conspiration
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Kaneko, interprété par Higashide Masahiro (Asako I & II), est dépeint comme un geek naïf et maladroit, assez inadapté à la vie sociale. Peu conscient de la gravité des faits qui lui sont reprochés, il va même écrire et signer des aveux incriminants. Si la police le manipule comme elle veut, c’est aussi le cas de ses avocats qui lui font apprendre ses discours et sa ligne de défense. C’est seulement devant un ordinateur que Kaneko s’épanouit et s’exprime pleinement. D’où une certaine incompréhension.
Le propos du film, en plus de souligner les limites du système judiciaire japonais, est de montrer qu’en s’attaquant aux développeurs informatiques, le Japon se prive de talents pour faire croître le pays et rester un fleuron du numérique. Une scène montre même l’avocat Dan Toshimitsu dépité devant son écran d’ordinateur en lisant un article sur le succès de Youtube qui s’impose rapidement comme la plateforme vidéo la plus utilisée dans le monde. Défendre Kaneko, c’est donc défendre un Japon entreprenant et tourné vers l’avenir.
Autre procédé utilisé pour défendre Kaneko : suggérer que le procès est une manœuvre des forces de l’ordre pour éviter la révélation d’un scandale de détournement d’argent généralisé au sein de la police. Chose étonnante : c’est bien la police qui porte plainte contre Kaneko et non des sociétés de production musicale ou cinématographique. En parallèle du procès, le film montre donc un policier lanceur d’alerte qui contacte en vain la presse pour signaler une falsification systémique de notes de frais pour rémunérer des indicateurs fictifs. Les preuves de cette corruption massive seront partagées de manière anonyme sur le web grâce au logiciel Winny. La police avait donc intérêt à stopper l’utilisation de Winny ou, à tout le moins, discréditer le logiciel comme permettant de violer les droits d’auteurs ou de partager des contenus illicites. Cette intrigue secondaire fait donc de Kaneko un martyr mis en croix par la police pour des raisons peu avouables… et non une défense du droit d’auteur.
Plus qu’un regard documenté sur le système judiciaire japonais, Winny est une reconstitution d’une époque proche (le milieu des années 2000) mais déjà lointaine de l’ère numérique. C’est aussi le portrait d’un développeur : 1) en artiste condamné par les autorités, dans la tradition romantique ; 2) en visionnaire capable d’enrichir son pays, dans la tradition économique libérale.
Marc L’Helgoualc’h.
Winny de Matsumoto Yusaku. Japon. 2023. Projeté au Festival Kinotayo 2023.