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KINOTAYO 2023 – No Place To Go de Takahashi Banmei

Posté le 11 décembre 2023 par

Avec No Place to Go, projeté au Festival Kinotayo, Takahashi Banmei s’attaque aux manquements de la société japonaise actuelle par le prisme du féminisme. Pour un discours plus politique contre le capitalisme ?

Michiko (Itaya Yuka), célibataire quarantenaire et serveuse à mi-temps, peine à joindre les deux bouts. Son salaire lui sert à payer l’essentiel mais elle doit aussi payer les frais d’hospitalisation de sa mère malade et rembourser les dettes astronomiques de son ancien mari. Cette situation précaire empire lors de la crise sanitaire du Covid. Sans travail ni logement, elle se retrouve à la rue et refuse de contacter ses connaissances pour obtenir de l’aide. Elle rencontre alors deux sans-abris vivant dans le parc public de Shinjuku. Une lueur d’espoir pour remonter la pente ?

Vétéran du cinéma japonais, Takahashi Banmei a commencé sa carrière dans les années 1970 avec des pinku eiga avant de rejoindre dans les années 1980 la Director’s Company où il réalise le classique Door (une femme au foyer terrorisée à son domicile par un psychopathe) et produit The Crazy Family, la satire au vitriole d’Ishii Sogo contre la vie de famille traditionnelle. En bon artisan, Takahashi s’est illustré dans plusieurs genres : le film de yakuza avec le brillant diptyque Neo Chinpira, l’érotisme SM avec New Love in Tokyo, le film politico-historique sur les mouvements terroristes d’extrême-gauche des années 70 avec Rain of Light ou la biographie d’un penseur bouddhiste avec Zen. No Place to Go lorgne du côté du drame social, avec un propos éminemment politique sur le patriarcat de la société japonaise, sa misogynie latente, la lutte des classes (à défaut d’une lutte des sexes) et les manquements des autorités pour venir en aide aux plus démunis.

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Féminisme, néo-marxisme et révolution

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Définitivement dans l’air du temps avec sa réflexion sur la place des femmes et un retour des luttes sociales dans un monde capitaliste en crise, No Place to Go a été salué par le magazine de référence Kinema Junpo dans son classement 2022 : meilleur réalisateur pour Takahashi Banmei, meilleur scénario pour Kajiwara Aki et troisième meilleur film de l’année.

banmei takahashi no place to goLe film traite en premier lieu de la difficulté des femmes à se faire entendre et s’imposer dans la société japonaise. Michiko en est le parfait exemple : en plus d’éponger les dettes de son ancien mari, elle a sacrifié son métier de créatrice de bijoux pour travailler à mi-temps dans un restaurant où ses collègues subissent le mépris, la misogynie, voire le harcèlement sexuel du gérant.

Le discours féministe du film est le premier aspect d’une critique plus large du capitalisme et de ses travers, notamment dans une période compliquée comme celle du Covid et de la fermeture de nombreux commerces. Les personnes les plus démunies se retrouvent sans aides. C’est encore plus flagrant quand le gérant du restaurant dans lequel travaillait Michiko, en plus d’être sexiste, est un salaud égoïste, veule et voleur, puisqu’il a détourné l’argent des indemnités de licenciement. Honteuse de se retrouver à la rue, Michiko coupe les ponts avec ses connaissances et se lie d’amitié avec deux sans-abris dont les fais d’armes remontent aux années 70 : l’une est une ancienne prostituée qui aurait trempé dans un scandale sexuel pour discréditer un homme politique tandis que l’autre est un ancien militant de la lutte de Sanrizuka contre la construction de l’aéroport de Narita. Condamné à de la prison pour avoir fomenté un attentat raté, le vieil homme vit maintenant dans le parc de Shinjuku, sous le surnom de « poseur de bombe ». Par ses discours, il fait basculer idéologiquement Michiko en lui faisant prendre conscience de l’injustice du capitalisme et du sort réservé aux démunis : les pauvres mais aussi les femmes. Et quand on est une femme pauvre, c’est la double peine.

Se tisse alors un habile lien entre le militantisme des années 70 et les revendications néo-marxistes actuelles. Signe des temps, le philosophe Saito Kohei connaît un grand succès avec son livre Le Capital dans l’anthropocène, vendu à plus de 500 000 exemplaires, qui reprend les théories marxistes pour défendre un communisme décroissant qui réconcilie écologie et lutte des classes. Comme avec le féminisme, c’est par une question sociétale (l’écologie) que se solidifie un discours plus large qui remet en cause le mode de vie actuel. Vers un retour des actions violentes ? C’est la question posée par No Place to Go quand Michiko se tourne vers la conception de bombes (ses nouveaux bijoux à elle), inspirée par le manuel de guérilla urbaine Hara Hara Tokei, écrit en 1974 par le Front armé anti-japonais d’Asie de l’Est. Nous vient aussi en tête le film The Day of Destruction de Toyoda Toshiaki, démonstration de rage contre le capitalisme et le système politique japonais, qui se termine par l’explosion du Stade olympique de Tokyo.

Le titre littéral du film peut se traduire par « À l’arrêt de bus jusqu’à l’aube ». L’aube d’une révolte contre la société japonaise par le prisme du féminisme ? Pour des lendemains meilleurs ?

Marc L’Helgoualc’h

No Place To Go de Takahashi Banmei. Japon. 2022. Projeté au Festival Kinotayo 2023