VIDEO – Zu, les guerriers de la montagne magique de Tsui Hark

Posté le 30 novembre 2023 par

Zu, les guerriers de la montagne magique, le wu xia pian pyrotechnique de Tsui Hark, bénéficie d’une belle édition Blu-Ray chez Metropolitan Filmexport dans son célèbre label HK Vidéo.

Au Xe siècle, quelque part en Chine, un jeune éclaireur de l’armée et un moinillon se retrouvent mêlés au combat mortel que se livrent un terrible démon qui cherche à détruire l’Humanité et la souveraine d’un palais céleste dont le pouvoir immense est seul capable de combattre la magie du monstre.

Zu, les guerriers de la montagne magique s’inscrit dans un mouvement général de rénovation du wu xia pian (film de sabre chinois), et plus particulièrement son pendant fantastique, au sein du cinéma hongkongais. Dans le sillage du film de Tsui Hark sortent en effet d’autres films mixant effets spéciaux modernes et intrigues typiques du genre, donnant des objets inclassables tels que Buddha’s Palm de Taylor Wong (1982), Holy Flame of the Martial World de Lu Chun-ku produits par la Shaw Brothers. Zu constitue donc la tentative de la firme concurrente de Golden Harvest dans ce registre qui correspond aussi pleinement aux aspirations de Tsui Hark. Dès l’inaugural The Butterfly Murders (1979), le réalisateur avait tenté de croiser le wu xia pian au récit à mystère façon Chu Yuan, mais à travers une esthétique moins luxuriante que les productions Shaw Brothers, notamment en privilégiant le tournage en extérieur. Ce sera le cœur de sa démarche à la création de sa compagnie Film Workshop, où ses meilleurs films croiseront genre et contes traditionnels chinois avec une relecture thématique ainsi qu’une esthétique moderne et plus personnelle, dont les réussites majeures seront la trilogie Histoire de fantômes chinois (1987, 1989, 1991), les trois premiers volets de la saga Il était une fois en Chine (1991, 1993), Green Snake (1993), The Lovers (1994) et The Blade (1995). En ce début des années 80, Tsui Hark n’a pas encore atteint la maîtrise pour livrer une œuvre se situant à ces hauteurs, puisqu’il ne s’agit que de son cinquième film et de son premier gros budget – le plus grand alloué à un film hongkongais pour l’époque.

Il doit en effet se démener entre la narration frénétique du roman de Huanzhulouzhu dont le film est adapté, et la gestion des différents effets visuels pour lesquels ont été engagés la crème des techniciens hollywoodiens ayant travaillé sur la saga Star Wars de George Lucas, Star Trek, le film de Robert Wise (1979) et Tron de Steve Lisberger (1982). Le résultat demeure aujourd’hui ce film foisonnant et éreintant à suivre, mais absolument fascinant et hypnotique par la série de tableaux luxuriants qu’il donne à voir. Si la confection du film semble viser une exploitation internationale (Zu sera notamment projeté au Festival International de Paris en 1984), le résultat en demeure profondément chinois et assez peu exportable en définitive. Le fil rouge global semble être l’impossible harmonie et union à atteindre pour l’humanité, qui lui permettrait de faire face au chaos de la guerre ou à une menace démoniaque plus périlleuse encore.

Ce motif est retravaillé tout au long du récit, tout d’abord de façon burlesque dans la séquence d’ouverture où la division est signifiée par les codes couleurs des multiples armées (au sein desquelles les alliés peuvent se retourner l’un contre l’autre pour un rien) mais permettant malgré tout l’amitié au-delà d’enjeux qui les dépassent par les malheureux Sammo Hung et Yuen Biao. Lorsque le film bascule dans le fantastique, ces mêmes élans belliqueux et orgueilleux ne permettent pas à l’union du bien, représenté par le guerrier Ting Yin (Adam Cheng) et le moine Hsiao Yu (Damian Lau) d’empêcher l’éveil du mal, tout comme la grâcieuse mais indomptable Dame des glaces (Ling Ching-hsia).

Cette facette constitue clairement le cœur émotionnel et thématique du récit, d’abord traité en filigrane avant de se concrétiser dans un climax où la fusion des épées et l’harmonie du duo de héros opposent une plénitude bouddhique au chaos que représentent les forces démoniaques. Entre-temps l’histoire nous a certes perdu dans ses ruptures de ton, l’oubli temporaire de ses enjeux (le compte à rebours initié au début disparaît pour revenir dans la dernière ligne droite) mais Tsui Hark maintient notre attention par sa maestria visuelle.

La grâce hiératique et sensuelle de Brigitte Lin envoûte dans le somptueux décor du palais de glace, les visions dantesques d’un bestiaire varié amènent une sidération et décalage ludiques. Même si certains effets spéciaux ont forcément vieilli, l’idée prévaut comme toujours avec tant de force chez Tsui Hark que l’on se trouve emporté par le maelstrom d’un véritable spectacle son et lumière ne nous laissant pas un instant de répit – quelques secondes d’inattention et l’on se surprend à être dans un nouvel environnement, aborder une autre situation. Zu est une pierre fondamentale à l’édifice grandiose que va façonner Tsui Hark dans les années à venir.

Bonus

Les suppléments sont pour la plupart repris de l’ancienne édition DVD sortie par HK Vidéo au début des années 2000.

Une suite d’interviews de Tsui Hark (12 min), Yuen Biao (12 min), Mang Hoi (17 min) et Moon Lee (20 min). Tsui Hark évoque sa démarche de façon plutôt cérébrale tout en expliquant les archétypes manichéens de bien et de mal qu’il a voulu aborder de manière surréaliste dans l’imagerie et sortir des sentiers battus. Yuen Biao acteur et chorégraphe sur Zu aborde le long travail en amont pour concevoir des effets crédibles et invisibles lors des scènes de combats, mais aussi sa surprise devant les méthodes de travail singulières mais inventives de Tsui Hark. Il exprime sa satisfaction sur certaines séquences à effets spéciaux restant impressionnantes aujourd’hui, et revient sur le casting entre l’expérience d’Adam Cheng, Ling Ching-hsia et les débutants d’alors Moon Lee, Mang Hoi ou lui-même. Mang Hoi (jouant le disciple du moine) raconte ses débuts d’enfant acteur où il vit Bruce Lee au travail, puis sa carrière adulte formé par Sammo Hung dont il dépeint les particularités de chorégraphe d’action. Sur Zu, il explique la difficulté de chorégraphier les combats et de jouer, la dimension innovante du film pour le cinéma hongkongais. Moon Lee évoque la densité de l’histoire due au livre d’origine, et la manière dont l’esthétique contribue à la compréhension de l’histoire malgré la profusion d’effets et de personnages. Elle s’amuse de la préparation sommaire qu’elle eut au travail avec les câbles, se souvient de la méticulosité apportée aux costumes et aux coiffures dont la confection pouvait prendre une nuit. Elle raconte qu’elle allait encore à l’école au moment du tournage et l’émoi qu’elle avait à côtoyer des stars comme Ling Ching-hsia, Sammo Hung. Elle décrit en détail toutes les astuces des techniciens et chorégraphes apportant la dimension novatrice du film où l’on ressent le bagage de l’actrice qui deviendra par la suite la reine du girls with gun dans le cinéma d’action hongkongais. Elle vante aussi la méthode de Tsui Hark qui, malgré la logistique, apportait une attention individuelle aux acteurs.

Cinq scènes commentées par Tsui Hark dans lesquelles il explique les difficultés à adapter le livre d’origine, la tonalité comique qui s’est imposée progressivement, détaille l’usage des effets spéciaux, s’extasie sur la beauté de certains décors. Il vante le travail de Peter Kuran qui a aidé à surmonter l’inexpérience des équipes hongkongaises en matière d’effets spéciaux, mais reconnaît certaines imperfections lors du climax final.

Zu: Time Warrior (97 min) : une vraie curiosité absente de la précédente édition. Devant l’insuccès du film à Hong Kong, les producteurs remontèrent le film sans le concours de Tsui Hark pour avoir une version plus exportable à l’internationale. L’intrigue y est grandement remaniée (en une sorte d’isekai où un protagoniste contemporain est projeté dans le cadre fantasy du film) et doublée en anglais pour un résultat guère satisfaisant mais intéressant à analyser. Contrairement au film original, cette version n’est cependant pas restaurée.

Un livret de 12 pages complémentaires des les bonus vidéo au niveau des différentes informations, un générique d’ouverture alternatif et la bande-annonce cinéma d’époque qui comporte quelques moments de making-off.

Justin Kwedi

Zu, les guerriers de la montagne magique de Tsui Hark. Hong Kong. 1983. Disponible en coffret Blu-Ray chez Metropolitan Filmexport le 21/11/2023.

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