NETFLIX – Pluto de Kawaguchi Toshio

Posté le 25 novembre 2023 par

Après avoir connu un succès foudroyant (et mérité) en version papier, le manga Pluto a les honneurs d’une adaptation par Kawaguchi Toshio, en format animé disponible sur Netflix. Huit épisodes qui permettent de confirmer ce que l’on pensait lorsque s’achevait le dernier tome du manga :  nous sommes bien en présence d’un immense morceau de science-fiction. 

Au commencement, Pluto est une adaptation, ou plutôt une relecture d’un arc narratif créé par le mangaka Tezuka Osamu, figure incontournable à qui l’on doit une liste non négligeables d’oeuvres devenues des incontournables du manga. Celle qui nous concerne ici, c’est le désormais célèbre Astro le Petit robot (Atom en version originale). Et parmi toutes ces aventures, une attirera l’attention d’un autre mangaka : Urasawa Naoki. Un auteur devenu lui aussi un incontournable avec deux œuvres phares, 21 Century Boys et Monster. Des mangas à la noirceur et au pessimisme prégnants, tournant le dos à l’humanité et aux lendemains qui chantent. Urasawa Naoki va se passionner pour l’arc narratif intitulé Le Robot le plus fort du monde. Sous la direction de Tezuka Makoto (fils de) et Nagasaki Takashi, il va recréer cet arc et accoucher d’une œuvre monumentale : Pluto. Un manga d’une richesse folle aux multiples pistes de réflexion et mêlant plusieurs genres en une seule histoire.

Dans un futur ultramoderne, Les hommes cohabitent avec les robots en bonne intelligence. Toutes sortes de robots existent, du moins évolués pour les tâches les plus simples aux plus perfectionnés avec des  capacités physiques et cognitives tellement poussées qu’ils en deviennent similaires aux humains. Alors que le monde se remet doucement d’une guerre d’Asie durant laquelle sept robots surpuissants se sont illustrés, une série de meurtres sont commis. Les victimes sont retrouvées dans une macabre mise en scène, avec des cornes autour de leur tête. Pire encore, parmi les premiers morts, se trouve le robot Mont-Blanc, soldat de la grande guerre reconverti en robot écologique pacifique. Un robot ultra évolué, Gesist, inspecteur à Europol, va mener l’enquête et découvrir qu’un effroyable compte à rebours a été lancé.

La grande force du manga, et par extension de l’animé qui lui fait suite, puisqu’il en respecte la trame on ne peut plus fidèlement, c’est cette capacité à jongler avec plusieurs genres à la fois. D’entrée de jeu le ton est donné, le fil rouge de la série sera une enquête policière. Qui peut bien en vouloir aux héros de la nation qui ont combattu valeureusement à l’autre bout du monde ? L’agent Gesist va traverser la planète pour découvrir la vérité, mais va rapidement se rendre compte qu’il fait la course avec un ennemi redoutable, bientôt connu sous le nom de Pluto, qui va semer les cadavres plus rapidement que Gesist n’obtient des réponses. Et si l’enquête policière internationale est menée tambour battant jusqu’aux dernières scène de la série, elle va progressivement se révéler être une couverture pour des ramifications beaucoup plus profondes et psychologiques, où vont se mêler vengeance familiale, amour père-fils indestructible et complot dans les hautes sphères du gouvernement. Une toile de fond somme toute passionnante et idéale pour ce que l’auteur propose en matière de réflexion, sur des sujets plus graves et d’actualité.

Si le sujet des androïdes et de l’intelligence artificielle n’est pas nouveau, et les auteurs usent d’ailleurs à bon escient de la loi de la robotique d’Asimov par exemple, l’enquête de Gesist se retrouve grandement compliquée par une technologie créée par l’homme mais qui a fini par lui échapper totalement. On assiste dans ce récit à l’avènement des robots (ceux-ci occupant d’ailleurs littéralement les 3/4 des scènes de la série), créations s’étant vues dotées désormais de sentiments, ou programmes assimilés comme tels, par l’homme ayant voulu concevoir la vie à son image. Au passage, on remarquera qu’il est troublant en tant que spectateur de s’émouvoir sur deux personnages pleurant leur enfant alors que ceux-ci sont tous des robots ressemblant à s’y méprendre le temps d’une scène à de vrais humains. Dans Pluto, les hommes ont fini par doter les humanoïdes de raison, de limites aussi, mais sans rien divulguer du récit, les exactions sont commises par une entité à qui l’on aurait programmé des sentiments « plus extrêmes » pour le réveiller, pour reprendre les mots de son créateur, et qui n’aurait alors plus qu’une envie, assouvir ses envies les plus sombres et obéir aux ordres les plus abjects. Gesist lui-même semble avoir subi des expériences qui l’ont privé de sa mémoire et est perdu dans sa quête de la vérité, laissant parfois éclater une haine et une colère plus humaines que jamais. Il y a dans Pluto cette impression diffuse et terriblement pessimiste que l’homme n’est plus qu’un accompagnateur du robot, tant celui-ci est quasi omniscient, littéralement relié au monde entier à ses frères robotiques et doté d’une faculté d’analyse et de raisonnement qui finira fatalement par laisser l’homme sur le bas côté de l’existence. En cela, le manga est un terrible avertissement déguisé en œuvre de divertissement.

D’un point de vue plus social et humain, Pluto se montre aussi d’un réalisme et d’une justesse incontestables. Comme expliqué plus haut, Pluto traque les sept robots revenus de la grande guerre d’Asie. Ces sept robots sont considérés comme les plus forts du monde et ont fait leur service sur le front. Mais désormais, l’heure n’est plus aux réjouissances. Les robots ont appris le doute, la peur, l’écœurement et le rejet face à la mort. L’un d’entre eux, Epsilon, a même refusé d’aller tuer ses frères de robotique sur le front, ce qui lui a valu l’opprobre de ses congénères et des militaires. Et même après le retour à la vie civile, à l’exception de Mont-Blanc reconverti en robot écolo débonnaire et affectueux (et dont la mort violente traumatisera la population), tous les SuperRobots tentent de survivre. Comme Brando et Hercules, il se donnent en spectacle en se battant, ou comme Epsilon, ils tentent de se racheter en recueillant les orphelins. On notera que la reconversion la plus touchante et émouvante est celle de North 2, devenu un doux et sensible compagnon de vie pour un vieux monsieur avec qui il va se découvrir un goût pour la musique classique. L’auteur aborde ici sans pathos ni cliché le délicat sujet du retour au pays des soldats, à travers une nouvelle sorte de guerriers dont la nouvelle faculté à ressentir des émotions est devenue un fardeau à force de côtoyer la mort.

Si, sur le fond on pourrait encore passer des heures à analyser l’œuvre sur laquelle plane l’ombre omniprésente du maître Tezuka, sur la forme, la série est probablement ce qui se fera de mieux cette année rayon animation. Si certaines séquences impressionnaient déjà sur le papier, elles s’en trouvent magnifiées à l’écran par une mise en scène spectaculaire, et l’on pense ici aux séquences d’assaut de Pluto, monstre géant arrivant caché dans une tornade apocalyptique. Chaque séquence regorge de détails aux quatre coins de l’écran et l’animation, signée Genco, ne faiblit jamais, osant parfois même ressembler ses cadres à des tableaux, qu’ils soient poétiques (les échanges entre North 2 et son maître), ou ressemblant à des instantanés d’apocalypse mortifères (les scène de flashback de la guerre). On notera aussi un bel effort du côté de la bande originale, passant sans aucun problème du modern jazzy avec son ending theme, à l’oppressant avec le thème de Pluto et ses cors de fin du monde.

En conclusion, Pluto version animée arrive sans aucun problème à se hisser au niveau des plus grandes productions rayon animation de ces dernières années, parvenant à retranscrire à la perfection toute la richesse thématique et réflexive du manga original, le tout enrobé dans une facture technique proche du sans-faute. Et enfin, même s’il n’occupe ici qu’une place de second rôle, retrouver le toujours attachant et souriant Astro est un plaisir qui ne se rate sous aucun prétexte.

Romain Leclercq.

Pluto de Kawaguchi Toshio. Japon. 2023. Disponible sur Netflix