COMING OF AGE 2023 – Deuxième séance : cinéastes prometteurs

Posté le 10 octobre 2023 par

Après cette première séance explosive et mettant à l’honneur d’impressionnants tours de forces cinématographiques, cette seconde séance de Coming of Age continue son exploration du paysage cinématographique chinois contemporain en nous proposant d’avantage des films se rapprochant du work in progress et annonciateurs d’une promesse : celle de nous présenter de grands cinéastes en devenir.

 

The Silent Whistle de Li Yingtong

Cet énigmatique film nous présente Ming, jeune femme de 19 ans, qui se voit proposer par son voisin Rui de faire semblant d’être sa petite amie le temps d’un repas avec sa mère. Visuellement fascinant, le film de Li Yingtong possède un effet enchanteur sur le spectateur tout en étant très réaliste, se situant constamment à la frontière de l’onirique. Cela s’explique assez rationnellement par la composition de certains plans mais aussi par l’évocation allusive d’événements dans la narration qui ne seront jamais approfondis par la cinéaste. Mais parfois, de manière bien plus intrigante, c’est la simple présence d’un petit insecte qui se balade dans le plan ou bien même d’une ambiance particulièrement pesante, qui renforce cet onirisme infusé dans le réalisme formel du film. Si son aspect plutôt décousu, ou plutôt sa narration hachée, participe fortement à ce réalisme onirique, il faut néanmoins reconnaître que l’on aimerait en voir plus. Non pas que le film n’en dévoile pas assez sur ses personnages et sa narration, mais plutôt nous aimerions que l’expérience se prolonge bien en dehors des 20 minutes du métrage puisque ce dispositif, aussi impressionnant soit-il, gagnerait largement en puissance en étant plus imposant temporellement. Il s’agit donc là d’une belle promesse en germe qui ne demande qu’à éclore.

 

A Dog Under Bridge de Tang Rehoo

Comédie noire à la première personne, A Dog Under Bridge nous met à la place d’un chien errant observant l’humanité depuis son parc. Les courts-métrages et plus particulièrement ceux d’animation, ont parfois cette tendance à se présenter comme une démo technique, une petite démonstration d’audace visuelle très souvent impressionnante mais malheureusement un peu trop hermétique vis-à-vis du spectateur. Ici, le film brille par la parfaite symbiose entre son aspect visuel léché et son écriture incisive. Ce sont même avant tout les dessins qui viennent magnifier l’écriture tragico-comique du cinéaste avec ces êtres humains aux traits aussi disgracieux qu’attachants et ce chien au design très simple et à l’expression unique. Le postulat de base, un peu classique, pourrait en rebuter certains. Mais ce topos de l’animal anthropomorphique posant son regard circonspect sur l’humanité est ici plus que bien traité : plutôt que de se perdre dans des banalités ennuyantes et dans un premier degré étouffant (ou bien encore un second degré beaucoup trop lourd), Tang Rehoo tente de mobiliser notre empathie à travers ce contre-point animal au ton très particulier. C’est en cela que l’aspect comédie noire fonctionne si bien : en faisant appel à notre empathie, le court-métrage qui commence sur une moquerie douce et naïve envers ses différents personnages nous fera vaciller très rapidement dans une émotion moins brute et plus subtile que le rire gras. Aussi hilarant qu’émouvant, A Dog Under Bridge est un véritable coup de cœur dans cette sélection très riche.

 

 

 

 

 

The Thing with Feathers de Xu Tianlin

Nouvelle itération de fiction réaliste, The Thing with Feathers suit une famille iranienne tout juste arrivée en Allemagne et tentant de s’y intégrer. Le film se démarque par un procédé formel distinct : le cadre découpe toujours les visages (ou bien la mise au point les camoufle derrière un flou) et ne laisse apparaître que les mains des personnages et leurs voix afin de les caractériser. Le procédé est tenu de bout en bout et la réalisatrice rivalise d’ingéniosité afin de trouver un nouveau cadrage ou une nouvelle composition de plan lui permettant de faire vivre ses personnages autrement que par le visage des acteurs les interprétant. Si le film ne parvient pas à dépasser son dispositif, il est une démonstration de style plutôt convaincante et explore une nouvelle piste du réel au cinéma à travers son étonnante mise en scène, tout comme il ouvre la porte à une nouvelle représentation figurative de l’Homme et une nouvelle manière de l’interpréter.

 

 

 

L’Éléphant s’évapore de Ran Chuxun

Long délire hypnotique, L’Éléphant s’évapore est difficilement résumable puisqu’il ne semble de toute manière pas explorer l’idée d’une narration que l’on pourrait exprimer autrement que par les images qui le compose. On y voit un homme danser dans ce qui semble être une salle de théâtre avec au sol un passage piéton, un panneau interdit qui se balade et une télé qui diffuse des images de ce même homme nous parlant de son chat perdu se nommant Byebye. Il faut donc accepter de se laisser bercer par ce rêve éveillé plutôt que de tenter de l’intellectualiser ou même simplement de le rationnaliser. Nous n’assistons cependant pas à du grand n’importe quoi : l’on remarque une certaine cohérence dans la composition des plans, notamment des couleurs, la mise en scène se révèle véritablement minutieuse, la performance de l’acteur est assez saisissante… Pourtant, rien de tout cela ne nous aidera à mettre des mots sur cette expérience, ce qui n’est d’ailleurs probablement pas le projet de la réalisatrice. Il faut accepter de se perdre dans le film, se laisser aller à sa musique électronique étourdissante et son ambiance visuelle à mi-chemin entre la blacklodge de Twin Peaks et le local industriel brutaliste. Le tout devenant petit-à-petit déroutant, mais étrangement charmant.

 

My World de Jun Li

Dernier court-métrage de la soirée, My World de Jun Li agit comme une bombe audio-visuelle venant tout droit de Hong-Kong. Se déroulant dans le milieu scolaire hongkongais, le film est découpé en plusieurs questions d’examen qui vont permettre d’explorer l’univers du personnage principal, éternel second de la classe. Les atouts du film sont nombreux (l’on peine même à y trouver ses défauts), mais son rythme effréné est possiblement la première chose qui détonne. Jun Li abonde l’image d’informations jusqu’à saturation. Il est d’ailleurs quasiment impossible de tout percevoir sans se peiner, ce qui demande donc au spectateur un certain relâchement, tout comme le film dépeint un personnage anxieux devant apprendre à lâcher prise et à céder à ses fantasmes. Cette abondance et cette saturation contamine tout le film, de sa logique narrative à sa construction formelle. L’on pourrait le décrire (même si cela est un peu éculé) comme un objet pop : le film est plein de couleurs, a constamment recours au détournement esthétique et à l’inversion des valeurs, mais surtout, My World se caractérise par une irrévérence omniprésente et adressée ostensiblement au spectateur. Cependant, si dans le pop art cette irrévérence peut s’avérer quelques fois irritante de par sa dite gratuité, que l’on pourrait plus précisément caractériser comme creuse, Jun Li arbore ici une irrévérence rageuse que l’on pourrait plutôt qualifier de punk. Il n’y a pas cet aspect très vain et auto-suffisant du pop art qui s’émane du film, puisque c’est plutôt une volonté urgente de lâcher-prise qui s’exprime à la fois esthétiquement et narrativement (le personnage principal faisant office de cas d’école dans ce domaine). My World possède donc les qualités des grands courst-métrages mais aussi celles des grands cinéastes. Il démontre premièrement qu’il est capable visuellement de nombreuses choses, avec cette mise en scène complètement folle et instable, ressemblant beaucoup à un patchwork cinématographique (avec tout de même une certaine cohérence de bout en bout). Mais il met aussi en avant des talents d’écriture indéniables et un sens du découpage à toute épreuve. Si Jun Li en met plein les yeux à travers ce teen movie grivois sans concession et hilarant, il ne se veut pas pour autant fanfaron et ne prend pas non plus son film pour une démo technique : il s’agit bien d’un métrage à part entière faisant vivre au spectateur un espace-temps très particulier. L’explosion est probablement ce qui définit le mieux le nœud du film : tout se mélange sans cesse, jusqu’à un final aussi absurde que beau terminant en grandes pompes cette imposante sélection.

Cette seconde séance de Coming of Age s’est donc révélée une nouvelle fois pleine de surprises. Du court expérimental aux essais esthétiques en passant par le court imposant de par sa justesse et sa puissance plastique, cette séance montre le format sous toutes ses coutures affirmant une fois pour toutes aussi son indépendance face au sacro-saint long-métrage. Le panorama du cinéma chinois contemporain offert par Coming of Age continue et jamais il ne cesse de nous surprendre par son éclectisme radical.

Thibaut Das Neves

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