Deuxième projection internationale après Toronto et première européenne à L’Étrange Festival pour le Concrete Utopia de Um Tae-hwa, blockbuster héritant de tout le savoir-faire coréen en matière de drame social, de film catastrophe, et, bien sûr, de thriller à fleur de peau. Incursion dans les paysages peu communs d’un Séoul dévasté, où le genre humain retourne à ses origines les plus sombres et où les quelques miraculés s’organisent en véritables despotes.
Séoul est frappée par un puissant tremblement de terre qui détruit toute la ville, à l’exception du complexe d’appartements Hwang Gung, seul immeuble resté debout. Les survivants se tournent vers un officier et une infirmière pour tenter de surmonter la longue crise qui les attend.
Depuis quelques années, le film catastrophe trouve un terrain fertile en Corée du Sud, où le genre sait répondre aux problématiques et aux angoisses inhérentes au monde post-moderne. C’est dans cette mouvance que s’inscrit Concrete Utopia, un blockbuster qui n’admet pas tout à fait en être un et qui préfère le chemin du microcosme social à celui du spectaculaire.
Au contraire de nombreux films du genre, le temps dédié à la catastrophe en elle-même est moindre, pour ainsi dire quasi inexistant, en comparaison des conséquences directes de cette dernière sur les protagonistes que le métrage choisit de suivre. L’introduction lève le mystère d’emblée : un couple se réveille tout naturellement dans leur appartement. L’homme (interprété par Park Seo-jun) se dirige vers le balcon, quand un plan drone s’éloignant de l’immeuble laisse peu à peu apparaître un panorama de vestiges de ce qu’était autrefois la capitale sud-coréenne. Nous sommes d’ores et déjà au jour 2 de la catastrophe, au sein du seul immeuble épargné, et ce réveil sera probablement le dernier paisible que les personnages connaîtront.
En semi huis-clos dans ce complexe d’appartements, les habitants se réunissent pour faire face à la crise en dressant l’inventaire des produits de première nécessité. Très vite, les réfugiés affluent vers le seul immeuble encore debout où un système de troc se met en place. Dans la tendance réaliste du cinéma post-apocalyptique, Um Tae-hwa s’intéresse au caractère survivaliste et social de la catastrophe. Un propos de fond sur la lutte des classes fait immersion quand les propriétaires de l’immeuble s’organisent pour chasser les simples locataires et les réfugiés. Inconsciemment, le complexe prend des airs de dictature, gouvernée sauvagement par un mystérieux élu campé par le grand Lee Byung-hun, dans sa meilleure forme depuis des années. L’humour noir ne manque pas d’équilibrer le ton fataliste de l’ensemble, le dispositif des flash-backs fait toujours irruption à point nommé et de façon maligne pour dévoiler les secrets de l’intrigue secondaire autour du personnage tantôt malsain, tantôt pathétique de Lee Byung-hun, et Um Tae-hwa compose autant d’images frappantes qu’elles ne servent le discours du métrage, comme cet amas d’individus en pleine offensive semblable aux cafards découverts dans l’immeuble quelques minutes plus tôt. Malgré quelques lenteurs et sursauts scénaristiques typiques, Concrete Utopia tient bon pour aller au bout de ses idées, même les plus macabres, et s’assure une place confortable parmi les meilleurs films du genre que la Corée du Sud ait produit.
Richard Guerry.
Concrete Utopia de Um Tae-hwa. Corée du Sud. 2023. Projeté à L’Étrange Festival 2023.