MUBI – Wonderful Town d’Aditya Assarat

Posté le 26 août 2023 par

En queue de comète de la « Deuxième Nouvelle Vague » thaïlandaise, apparue après la crise économique en Asie à la fin des années 90, le jeune cinéaste Aditya Assarat, alors 35 ans, réalise son premier long-métrage, signé seul : Wonderful Town. Après un passage aux festivals de Busan et de Taipei, le film était sorti, dans une relative discrétion, dans les salles françaises en mai 2008. MUBI offre, ces jours-ci, l’occasion de rattraper ce film indispensable du cinéma d’auteur thaïlandais des années 2000.

Tandis que l’histoire du cinéma thaïlandais (comme une majeure partie des cinématographies d’Asie du Sud-Est) se caractérise par une productivité « mouvementée », au rythme de ses soubresauts politiques, les années 2000 représentent une de ses périodes des plus fastes, notamment grâce à l’apparition d’auteurs importants (Pen-ek Ratanaruang, Nonzee Nimibitur et, bien sûr, Apichatpong Weerasethakul). Cette émulsion a favorisé l’émergence d’oeuvres singulières, tel ce Wonderful Town.

Situé à Takua Pa, ville en bord de mer au Sud de la Thaïlande, non loin de la Malaisie, le résumé nous apprend que l’histoire commence après le tsunami survenu dans l’océan Indien, fin 2004. Dans cette ville montagneuse, autrefois florissante mais évidée de sa population à cause de la malaria et dont le tourisme s’est amoindri, concurrencé par la plus forte attractivité des plages, la vie semble continuer, bon gré mal gré. De ces informations, ne paraît rester de la ville que l’ombre : l’écume des vagues par laquelle s’ouvre le premier plan, nimbé par le râle de la houle et ses motifs sur la rive. S’ensuit le visage d’une femme, endormie. Après le déluge, vient la beauté. Sans rien présager, tout le film nous invitera à savoir si cette même beauté, cette innocence à la pruine d’une figure saura résister à d’autres séismes.

Cinéaste de la « petite forme », au sens deleuzien (c’est-à-dire où « l’action (…) dévoile la situation, un morceau ou un aspect de la situation, lequel déclenche une nouvelle action« ), Assarat donne à rencontrer et suivre deux personnages : Ton, architecte venu dans cette ville pour participer à sa reconstruction, et Na, employée de ménage dans l’hôtel où loge le premier. Le scénario fait succéder des prélevés de leur quotidien, la réalisation tâchant d’en extraire la beauté derrière la torpeur, sans se détourner de la trivialité de certains moments (comme ce plan où l’homme, nu, de dos, pisse dans les toilettes). 

Dans cette situation, l’endroit semble encore hanté par la catastrophe, en état de catatonie et de suspension après que la nature a dévasté les lieux. Si le scénario pèche peut-être par hiératisme sur son premier tiers (impossible de deviner qu’un tsunami a détruit la ville, sauf à être thaïlandais ou à avoir lu le synopsis), l’intrigue qui voit Ton participer à la reconstruction d’un bâtiment comme de celle de son cœur, offre une belle métonymie romantique entre le malheur intérieur de l’homme et le cataclysme tombé sur la ville.

La langueur avec laquelle les plans longs qui composent le montage développe le rapprochement de Ton et Na établit, à l’instar du modèle Weerasethakul (et notamment Blissfully Yours), le portrait d’une ville nimbée par le silence. Un responsable du chantier sur lequel se rend Ton lui confie même « Ce village, c’est l’ennui ! Y a rien à faire« . À quoi Ton répond : « J’aime le calme« . Avant que, en fond de plan, un homme s’énerve contre le sol, emporté par le colère. L’auteur dépose alors, en toute discrétion, un indice : l’apathie des lieux et le désœuvrement de ses habitants cachent et nourrissent une violence sourde.

Pour porter à l’écran son arc dramatique, qui repose sur peu de choses : le rapprochement de deux solitudes, Assarat emploie une écriture typique d’un cinéma low-fi, épousant ce que dit le protagoniste masculin : « Plus grand, ce n’est pas toujours mieux« . Tout le film repose donc sur cette union en cours, cette lente rencontre entre deux humilités, deux sensibilités aussi fragiles que mutuellement respectueuses. Pour ce faire, la réalisation courtise un certain académisme d’auteur international (post-antonionien) : plans longs, cadres aux jeux de tiers savamment disposés, épaisseur documentaire et dialogues laconiques. On n’est, parfois, pas loin de penser aussi au cinéma indépendant états-unien qui se donne pour humble mission de capter la grâce fragile du quotidien, de la vie comme elle va et de la beauté simple des gestes courants.

Pourtant, la magie prend, en l’occurrence, et pour peu qu’on se glisse dans la sérénité du film, l’expérience contemplative apporte son lot de bien-être. Wonderful Town propose-t-il pour autant un cinéma « Nature & Découverte » ? La part dans les plans laissés aux délabrements et aux bâtiments en ruine, et dans la piste son aux silences et aux suspensions désamorcent toute sorte de cinéma smoothy et permet au film d’échapper au sort de l’œuvre exotique pour public occidental. 

Ce qui relève, notamment, ce premier long de l’ennui, c’est la musique à la guitare. Elle dépose sur les plans un léger drapé folk, teinté d’une mélancolie tropicale. L’évolution de la bande originale, jusqu’à devenir une chanson, évoque parfaitement l’éclosion des sentiments entre les deux personnages.

À mesure que Na et Ton tombent amoureux, Assarat invite le spectateur à tomber également amoureux des paysages naturels de la Thaïlande profonde. Les nombreux plans de travelling, qui reviennent comme une rime, pour filmer une course à vélo, à moto, en voiture, illustrent parfaitement, sans surligner, l’avancée du désir dans les cœurs, à mesure que les corps avancent dans le paysage. L’exploration, portée par la musique, introduite par les amples mouvements de caméra, ouvre les paysages au regard, laisse la ville de Takua Pa se réveiller aux yeux des spectateurs.

La photographie, symptomatique de celle des premiers films numériques des années 2000, donnant parfois l’impression de décors en CGI, suit également ce mouvement d’éveil : aux teintes désaturées et qui semblent plonger le lieu sous un ciel perlé de nuages gris, comme prêt à tomber en pluie et qui donne au premier tiers du film une tonalité grise, comme réchappé du passé, laisse place, dans le deuxième tiers à des nuances plus colorées, une lumière plus irisée. Qu’advient-il du 3ème tiers, une fois que la relation libre des deux amants est menacée par le conservatisme local ? Réponse sur Mubi !

Flavien Poncet

Wonderful Town de Aditya Assarat. Thaïlande. 2007. Disponible sur MUBI.

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