Après de nombreuses années d’attente, enfin une édition vidéo balayant l’éclatante filmographie de Tsukamoto Shinya, réalisateur phare du cinéma underground japonais, voit le jour. 10 films dans un riche coffret, tel est le programme proposé par Carlotta Films. On commence dès aujourd’hui en abordant la première œuvre de la sélection : Les Aventures de Denchu-Kozo, moyen-métrage de 45 minutes sorti en 1986.
Un garçon né avec un pylône électrique dans le dos active une machine à voyager dans le temps qui lui fait rencontrer des vampires-cyborgs agressifs.
Les Aventures de Denchu-Kozo annonce Tetsuo à bien des égards, l’innocence du scénario en plus. Il n’est pas nécessaire de juger la qualité du synopsis, influencé par les mangas pour adolescents, sorte d’Obayashi Nobuhiko dans un appareil simplifié, et légèrement déviant. Dans ce méli-mélo de vampires, de cyborgs, de voyages dans le temps – et de romance bluette aussi ! -, Tsukamoto ne fait que s’amuser et aiguiser ses aptitudes de cinéaste en expérimentant constamment les possibilités narratives et visuelles du format pellicule – du format cinéma, dans ce qu’il a de plus noble et réjouissant. Avec ce petit métrage, Tsukamoto mobilise la compagnie de théâtre qu’il a créée à même pas 20 ans, avec qui il a tourné de nombreux courts auto-produits en super 8 dans les années 70 et 80 : le Kaijyu Theater. Denchu-Kozo est le premier travail de Tsukamoto à être remarqué dans les festivals. Il faut dire que l’on y perçoit déjà toute la qualité, l’épaisseur de ce qui fera le style Tsukamoto.
Les Aventures de Denchu-Kozo est une merveille plastique. Tsukamoto s’amuse à se grimer, lui et ses acteurs, en personnages fantasques, en vampires baroques, entre le punk et le gothique. Il utilise déjà des accessoires à base de ferraille pour donner un toucher, une couleur à son film. Par son attrait pour le stop-motion, appliqué dans quelques séquences graphiquement audacieuses (« la seule façon de mettre en œuvre, sans gros moyens, l’effet spécial désiré » disait-il pour Tetsuo), il ne fait pas que s’exercer en matière de montage. Il déploie avec vigueur tout son imaginaire, une succession de mouvements, un déplacement qui secoue, qui agrippe le spectateur pour l’emmener on ne sait où – et c’est proprement grisant. Le grain du 8mm confère une patine certaine au rendu, qui achève d’en faire définitivement une œuvre de toute beauté, soignée malgré son aspect foutraque et le peu de moyens utilisés, les moyens du bord.
En revanche, ce qui distingue Denchu-Kozo du reste de la filmographie de Tsukamoto réside dans son scénario anodin et enchanteur, largement porté sur la romance de son héros lycéen et de sa rencontre avec sa compagne venue d’un autre temps. Denchu-Kozo est probablement la dernière étape de son auteur vers le chemin de ses véritables intentions de cinéaste, lui qui avalait de nombreuses influences, y compris dans la culture populaire. Mais loin d’être un pastiche ridicule des fictions lycéennes fantastiques, Denchu-Kozo se révèle charmant y compris sous cet aspect. D’une part, il s’agit d’un genre dont les Japonais raffolent, qui est dans leur ADN, et qui ne peut pas être nanardisé facilement. D’autre part, Tsukamoto est un artiste à l’inspiration constante, encore maintenant, sans doute plus encore dans sa jeunesse où sa vivacité bouillonne à l’écran. Il était difficile pour lui de rater une romance lycéenne fantastique, même en ajoutant des éléments grotesques comme des vampires cyborgs tueurs gothico-punks et des effets à base de cartons et de dessins. Ce joyeux mélange fonctionne à tous les étages, de par la sincérité dont fait preuve son auteur et la patine de ces effets quasiment enfantins.
Denchu-Kozo est une œuvre de jeunesse totalement généreuse et qu’on ne qualifiera pas ici de too much ou de fauché. Elle annonce tout le souffle qui habitera la filmographie de Tsukamoto Shinya pour les 30 années à venir, celui d’un cinéaste en dehors de la mêlée.
Bonus vidéo
Présentation de Tsukamoto Shinya (5 min) – module repris d’une ancienne édition vidéo, Tsukamoto revient brièvement mais sincèrement sur ses débuts de cinéaste et ce que le succès d’estime de Denchu-Kozo lui a offert, lui qui se sentait à part avant de faire du cinéma.
Maxime Bauer.
Les Aventures de Denchu-Kozo de Tsukamoto Shinya. Japon. 1986. Disponible dans le coffret Shinya Tsukamoto en 10 films paru chez Carlotta Films le 17/05/2023.