VIDEO – Héros du tiers-monde de Mike de Leon

Posté le 6 mai 2023 par

Pour ce septième long-métrage du coffret Mike de Leon, nous avons l’occasion de découvrir la deuxième partie de la carrière du réalisateur qui, même si elle s’avère beaucoup moins conséquente que la précédente, est d’autant plus complexe et intéressante qu’il y renouvèle (une fois de plus) son cinéma. C’est donc dans ce contexte qu’Héros du tiers-monde sort en 1999, 15 ans après son précédent long-métrage.

Deux réalisateurs tentent de dresser le portrait du héros national philippin José Rizal. Confrontés à de nombreux débats quant à la véracité de certains éléments de sa vie, ils interrogeront directement les acteurs de cette Histoire afin de percer le mystère José Rizal.

Tant au niveau de l’écriture, de la mise en scène et même, plus concrètement, dans sa manière de concevoir le cinéma, Mike de Leon opère un renouveau radical avec Héros du tiers-monde. À commencer par l’abandon de ce qui faisait l’ADN de la filmographie du cinéaste jusque-là, c’est-à-dire son inscription totale et sans concessions dans un cinéma populaire, afin de renouveler ce dernier avec ses propres outils. Héros du tiers-monde se trouve dans une optique beaucoup moins ambitieuse et abandonne ostensiblement une composante populaire afin de laisser place à un cinéma moins en proie aux conventions et par conséquent un peu plus libre. Alors que ce changement de cap pourrait paraître assez décevant, tant le projet était initialement alléchant mais surtout réussi (bien qu’il semblait avoir trouvé ses propres limites avec Le Paradis ne se partage pas), il s’avère en fait tout aussi passionnant. Héros du tiers-monde s’annonce comme une réflexion à la fois historique et esthétique, aussi passionnante que comique, rivalisant parfaitement avec cette première partie de carrière audacieuse et rondement menée.

Il faut cependant reconnaître que le film peut être parfois compliqué à suivre pour qui ne connaît pas bien l’Histoire des Philippines et le personnage historique dont il est question du début à la fin. Le synopsis étant lui-même la matérialisation d’un débat historiographique entre deux réalisateurs souhaitant faire un film sur José Rizal, cela peut perdre potentiellement le spectateur français qui, en tant qu’observateur lointain, a peu de chances de connaître ne serait-ce que le nom de ce héros national. Alors sans même connaître ce personnage, tout ce débat sur la véracité d’une fameuse lettre lui étant attribuée et qu’il aurait effectivement écrite, mais dont la signature présente sur le papier ne serait pas de lui, semble au mieux complexe, au pire confus. Et c’est pourtant ce qui est au centre de l’intrigue du film et qui tiendra en haleine le spectateur (qu’il soit averti ou non). C’est bien là l’une des forces du film : malgré ce tissu de faits et de relations historiques plus précis les uns que les autres, cela n’entrave aucunement l’appréciation du film. Ce dernier est de toute évidence visuellement très léché, allie à son raffinement un foisonnement d’idées cinématographiques attrayantes et surprenantes, mais surtout, Héros du tiers-monde se voit affublé d’une écriture rendant le tout non seulement efficace, mais terriblement drôle et incisif.

Et même si l’on passe probablement à côté du contexte historique du film, sa réflexion sur la figure du héros national mais aussi sur l’Histoire dépasse son contexte initial le rendant universellement applicable. Le cinéaste a très probablement beaucoup à dire sur la société philippine, son rapport à José Rizal et son rapport à la religion. C’est un fait indéniable, présent de son premier film jusqu’au dernier en date. Pourtant, le film questionne aussi bien toute société existante et son rapport à l’Histoire, au récit national et aux dogmes quels qu’ils soient. Peu importe donc de savoir si Mike de Leon joue avec l’histoire ou bien la restitue dans une véracité si subtile qu’il intègre même à son dispositif les réelles historiographies s’opposant sur le sujet. La malice avec laquelle il manie l’Histoire n’est pas tant là pour pointer des faits historiques que des questions sur la nature même de l’Histoire et son rapport au réel. C’est dans cette même optique qu’il se distingue radicalement de ses deux personnages principaux qui, eux, tentent plutôt de capturer l’essence de José Rizal afin de la restituer dans un film. Mike de Leon, lui, s’attardera plutôt sur la représentation que se font ses personnages de José Rizal. C’est aussi pour cela que le film ne repose que sur une suite d’interviews chapitrées entre les réalisateurs et les personnages historiques ayant côtoyés le héros et non en une longue interview du héros. Et même lorsque le film brise ce dispositif en interviewant enfin José Rizal dans sa scène finale, cet entretien sera le seul du film qui n’apportera aucune réponse susceptible de briser le secret de sa personne, ou bien encore de sa lettre.

Héros du tiers-monde, derrière ses allures de petit film à l’écriture goguenarde, camoufle une réflexion passionnante sur l’Histoire et la récupération historique. S’il ne rend pas son contexte accessible, il a le mérite de dresser un portrait complexe du héros qui réveillera la curiosité de qui veut bien s’y intéresser. Autrement, il ne fait pas de son contexte comme une condition sine qua non à la compréhension du film ni même à son appréciation. Mike de Leon arrive une fois de plus à surprendre là où on ne l’attend pas.

Thibaut Das Neves.

Héros du tiers-monde de Mike de Leon. Philippines. 1999. Disponible dans le coffret Blu-ray Mike De Leon en 8 films – Portrait d’un cinéaste philippin le 21/03/2023 chez Carlotta Films.

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