VIDEO – La Tanière de la bête d’Ito Shunya

Posté le 2 mai 2023 par

Le Chat qui fume sort un superbe coffret réunissant les six films de la saga La Femme scorpion, fleuron du cinéma d’exploitation japonais des années 70. On s’attarde sur La Tanière de la bête, troisième volet retrouvant la flamme de la sororité féminine dans un univers machiste oppressant.

À la suite de son évasion, Nami, surnommée Sasori, est activement recherchée par la police. Elle leur échappe dans le métro, après avoir coupé le bras d’un inspecteur, et trouve refuge dans un quartier sordide, chez une prostituée.

La Tanière de la bête est le troisième volet de la saga de La Femme scorpion et en constitue une fin de cycle. La Toei exploitera certes le filon pour trois épisodes supplémentaires (sans compter les tentatives de reprise dans les années 90), mais cet épisode est le dernier à réunir la charismatique Kaji Meiko – qui tournera néanmoins un quatrième volet – et le réalisateur Ito Shunya qui forgèrent l’identité thématique et visuelle de la série. La Femme scorpion (1972) était un pur film d’exploitation brutal et inventif qui faisait sonner le vent d’une revanche féroce des femmes opprimées dans un Japon machiste. La suite Elle s’appelait Scorpion (1972) prenait un tour plus surréaliste et sortait du cadre de la prison pour faire du monde extérieur (et donc le Japon en son entier également) un lieu de tourment perpétuel pour les femmes. La Tanière de la bête prend une direction encore différente. L’environnement carcéral du premier volet est longuement absent, tout comme l’espace rural cauchemardesque du second. À la place, le film se déroule dans un milieu urbain qui se manifeste dès la scène d’ouverture et sa course-poursuite dans le métro. Nami (Kaji Meiko), désormais fugitive, se défait brutalement d’un inspecteur (Narita Mikio) en le mutilant.

Elle trouvera refuge dans un quartier sordide en se liant d’amitié avec Yuki (Watanabe Yayoi), une prostituée. Ito Shunya délaisse dans un premier temps les expérimentations formelles qui rendaient ludiques et poétiques les épisodes précédents. À la place, un ton austère qui dessine en parallèle le dépit de Yuki et Nami. Yuki symbolise de la façon la plus cruelle la dimension oppressée et sacrificielle de la femme à travers son métier de prostituée et surtout de céder sexuellement à son frère attardé mentalement après avoir été victime d’un accident d’usine. Nami, quant à elle, semble être désormais terne et vide après n’avoir vécu que pour la vengeance. La détresse des héroïnes s’exprimera par une attitude de plus en plus taciturne et glaciale pour Nami (Kaji Meiko ne décrochant son premier mot qu’au bout de 20 minutes) et au contraire par une vulnérabilité très expressive pour Yuki.

La monotonie de son job de couturière, la solitude de sa chambre illustrent le quotidien sans joie de Nami, tandis que les couleurs et l’excentricité du quartier des plaisirs accompagnent la déchéance de Yuki. C’est donc paradoxalement lorsque la menace ressurgit que la pulsion de vie va renaître chez les personnages. Comme dans les deux premiers films, l’absence de solidarité féminine (la voisine trompée ou l’ancienne camarade de prison devenue mère maquerelle impitoyable) comme la barbarie masculine sont sources de tourments pour Nami. C’est dans cette adversité qu’elle peut redevenir Sasori (Scorpion) et retrouver l’aura intimidante qui fit sa légende et terrifie ses adversaires.

Ito Sunya ne s’embarrasse plus d’un vague semblant de réalisme dans ses péripéties pour faire de Nami une sorte de croquemitaine omniscient et indestructible. Des astuces formelles oniriques servent d’ellipses pour expliquer certains tours de force de Nami (un fondu enchaîné ou une vision infrarouge faisant découvrir à la fois son évasion et les assassinats du médecin avorteur, des acolytes proxénètes), la seule aura de celle-ci suffisant à faire comprendre qu’elle s’en sortira toujours même dans une situation critique – l’épisode des égouts enflammés. Du coup, le vrai suspense est absent en comparaison des deux premiers films tendus et suffocants, mais pas l’émotion à travers l’amitié de Nami (lui arrachant ses rares sourires) et Yuki retrouvant une raison de s’accrocher à la vie en aidant son amie.

La dernière partie rejoue donc le registre vengeur plus classique de la série mais sans l’exaltation initiale. Nami a finalement cessé d’exister pour son double Sasori et semble comme condamnée à être agressée pour se rebeller en retour dans une boucle éternelle. Une fois un antagoniste vaincu, elle disparait jusqu’à s’en trouver un autre. Le jeu de plus en plus glacial de Kaji Meiko exprime bien l’abstraction et la symbolique dans laquelle s’engonce le personnage et c’est la meilleure façon de lui offrir sa sortie, iconique et tragique à la fois. Même si Kaji Meiko tournera un quatrième volet plutôt réussi, on peut estimer que la vraie belle conclusion d’une certaine idée de la saga réside dans cette Tanière de la bête.

Justin Kwedi.

La Tanière de la bête d’Ito Shunya. Japon. 1973. Disponible en Blu-ray dans le coffret Intégrale Scorpion chez Le Chat qui fume en avril 2023.