Le Chat qui fume sort un superbe coffret réunissant les six films de la saga La Femme scorpion, fleuron du cinéma d’exploitation japonais des années 70. On s’attarde sur le deuxième volet qui délaisse l’aura vengeresse du film précédent pour un récit d’errance insondable, un désespoir résigné dans le genre humain.
Matsu, surnommée Sasori, est une prisonnière rebelle, haïe et maltraitée par le directeur de la prison. En rentrant d’une journée de travaux forcés, Mastsu s’échappe en compagnie de quelques autres prisonnières. Le directeur de la prison fera tout pour les retrouver, mortes ou vives.
La Femme scorpion (1972) fut un grand succès consacrant le charisme de Kaji Meiko. Le film constituait encore une pure œuvre d’exploitation où le message féministe rageur s’intégrait à une intrigue et des situations typiques du genre, entre érotisme racoleur et violence sadique. Ce deuxième volet prend un tour bien plus radical dans son propos, tirant vers des territoires inattendus les bases posées par le premier film. Suite aux évènements de La Femme scorpion, notre héroïne Sasori (Kaji Meiko) a été ramenée en prison et placée en isolement dans une cellule insalubre par pure vengeance du directeur qu’elle a humilié et rendu borgne. Le début du film joue donc à fond des motifs du premier volet avec cette ambiance carcérale oppressante, ce sadisme révoltant dans les maltraitances que subit Sasori, mais aussi dans l’ambiance délétère et l’absence de solidarité entre prisonnières.
Tous ces éléments prendront une tournure exacerbée lorsque Sasori va s’évader en compagnie de six autres prisonnières. La Femme scorpion disposait d’une trame qui tendait tout entière vers l’objectif de vengeance de Sasori, filant droit tout en intégrant facette complaisante et/ou vindicative. Elle s’appelait Scorpion est bien différent, s’avérant un récit d’errance sans but pour nos évadées. Le directeur de la prison est certes un antagoniste, mais pas aussi intimement lié à l’héroïne que le fiancé sournois du premier film. Le directeur figure en fait ici l’homme japonais dans son ensemble, dominateur, indifférent et cruel envers les femmes. Les prisonnières fuient donc cette oppression masculine symbolisant la société japonaise et exacerbée par le contexte de la prison où, à la merci de leur geôliers, les hommes les malmènent à leur guise. Ito Shunya semble faire de ces femmes des figures sacrificielles dont les souffrances forment comme un cycle perpétuel. Ces tourments en ont d’ailleurs fait des êtres bestiaux et brutaux dont les écarts finissent par les rapprocher de ceux qui les persécutent. Ainsi, avant l’évasion, les compagnes de Sasori vont la brutaliser dans la fourgonnette de la prison car elle semble avoir trop appréciée à leur gout le pourtant insoutenable viol collectif qu’elle a subi sous leurs yeux. Le réalisateur va ainsi convoquer une imagerie surréaliste de théâtre kabuki, pour à la fois signifier la nature ancestrale de la soumission féminine, mais aussi pour montrer les dérives à laquelle elle conduit avec le détail des crimes de chacune des évadées, tout sauf des oies blanches. Infanticides, meurtres, malveillance, toutes semblent être devenues à leur tour des monstres, seul moyen de se montrer l’égal de l’ennemi masculin. Cette dimension de malédiction se manifestera aussi par la rencontre d’une sorte de spectre de vieille femme marquée par une douleur qui restera inconnue.
Sasori est finalement très en retrait de ce second volet. Elle avait représenté la revanche des femmes dans La Femme scorpion où elle punissait avec une rage jubilatoire tous ceux l’ayant trahie. Elle est ici plutôt observatrice, ne pouvant être placée au même niveau que ses acolytes basculant dans une barbarie primitive, et chacune de ses actions signifiera toujours une vengeance concrète et ciblée. La mise en scène d‘Ito Shunya oscille ainsi entre naturalisme (tous les effets pop et cadrages alambiqués du premier film ont disparu) et onirisme, faisant du film un long cauchemar ininterrompu. Les personnages traversent des contrées montagneuses et désertiques à l’image de leur avenir sans espoir, chaque rencontre est synonyme de mort provoquée ou subie et la photo de Shimizu Masao baigne l’ensemble dans une ambiance automnale baroque et oppressante.
Le film va en fait plus loin que la réflexion féministe première en posant un constat désespéré de l’humanité et plus précisément du Japon. Cette évocation de l’invasion de la Chine par le Japon et les exactions qui y furent commises (un personnage masculin racontant hilare leur méthode au front pour violer des Chinoises) est tout sauf anodine, la barbarie des hommes ayant brisé ou transformé les femmes, rendant dans le film tout rapprochement impossible sauf dans l’abjection et la monstruosité (la longue séquence du bus où les prisonnières malmènent les passagers sans distinction). Kaji Meiko propose ici une prestation encore plus taciturne (elle prononce son premier mot dans le dernier quart d’heure), son regard noir et visage impassible n’exprimant plus seulement la rage intérieure mais aussi une forme de résignation et d’impuissance face à l’inexorable violence.
Il est ainsi dommage que, sur la toute fin, le film quitte cette approche aride pour recoller à celle vengeresse dont la vacuité nous a pourtant été démontrée. Un revirement sans doute imposé par la Toei (et histoire d’annoncer le troisième volet) mais qui ne fait pas illusion avec la mise en image d’Ito. Le semblant de solidarité féminine, ayant enfin cours en toute fin, vient du personnage féminin le plus détestable. La conclusion revancharde (où Sasori reprend sa mythique tenue d’ange de la mort avec chapeau et imper noir) est loin de l’exaltation ressentie dans le film précédent, faisant presque de cet assouvissement une scène de rêve. Entre la hargne de La Femme scorpion et la désolation de celui-ci, la saga s’affirme en tout cas comme passionnante et témoigne de l’agitation idéologique d’alors au Japon.
Justin Kwedi.
Elle s’appelait Scoprion d’Ito Shunya. Japon. 1972. Disponible en Blu-ray dans le coffret Intégrale Scorpion chez Le Chat qui fume en avril 2023.