DISNEY + – L’enfer au paradis : Time Shadows/Summer Time Rendering de Watanabe Ayumu

Posté le 11 mars 2023 par

Il y a quelque temps, nous avions découvert, cachée dans les tréfonds de Disney +, la délirante et hilarante série Tatami Time Machine Blues dont nous avions dit le plus grand bien. Et le moins que l’on puisse dire, après avoir regardé Time Shadows, c’est que la plate-forme de Mickey renferme d’incroyables pépites qui méritent largement le détour.

La série, adaptation du manga éponyme (connu également sous le titre Summer Time Rendering) créé par Tanaka Yasuki, est une pure œuvre de science-fiction qui va prendre un malin plaisir à promener et perdre le spectateur dans un récit aux rebondissements incessants, obligeant presque ce dernier à binge watcher les 25 épisodes de la série. Mais de quoi ça parle, exactement, Time Shadows ?

Le 22 juillet, après être parti il y a 2 ans pour Tokyo, le jeune Shinpei Ajiro revient sur son île natale, petit village de pêcheurs aux allures de havre de paix paradisiaque sur la côte japonaise. Après s’être endormi sur la poitrine de sa voisine de ferry, ce qui lui vaut d’ailleurs un bel uppercut, il débarque et retrouve Mio, sa « sœur de cœur ». En effet, les parents de Shinpei sont morts et il a été recueilli enfant par Alain, un restaurateur local et ses deux filles, Ushio et Mio. Mais aujourd’hui, l’heure n’est pas à la fête. Shinpei est de retour pour les funérailles de Ushio, morte en pleine mer après avoir sauvé une enfant de la noyade. Et les choses ne vont pas s’arranger pour le jeune homme, car il va retrouver également Sou, son ami d’enfance et fils du médecin de l’île, qui va lui confier que Ushio ne serait pas morte accidentellement. Déjà bien secoué par la nouvelle, Shinpei, accompagné de Mio, va aller commencer à enquêter, mais malheureusement, il va tomber sur la femme du ferry, à l’agonie dans la forêt, et assister à l’exécution de Mio par… un double de Mio, qui finit par lui coller une balle dans la tête. Fin de la journée de Shinpei, qui va d’un coup se réveiller le 22 juillet, à la descente du ferry.

Résumer Time Shadows n’est pas simple, tant la série part absolument dans tous les sens, et c’est pour le coup sa plus grande qualité, en brassant un nombre incalculable de thèmes et de références, sans que l’un n’empiète sur l’autre. On y retrouve les thèmes de la boucle temporelle, du doppelgänger, sans oublier les démons/fantômes de la culture japonaise, le tout dans une ambiance de thriller paranoïaque (dans sa première partie en tout cas), avant de basculer dans la guerre ouverte aux monstres. Time Shadows connaît ses classiques et ses références, mais plutôt que de les régurgiter lourdement comme le premier de la classe, fier d’étaler sa culture de films de genre, la série va s’employer à les utiliser de la manière la plus ludique possible.

Prenons par exemple le concept de la boucle. Shinpei découvre très rapidement qu’il est coincé dans une sorte de boucle temporelle qui le condamne à revivre inlassablement la journée du 22 juillet. Certes, il revit les mêmes scènes mais évidemment il garde d’une boucle à l’autre les souvenirs de la précédente, ce qui va lui permettre déjà de survivre mais aussi d’essayer de comprendre ce qui lui arrive. Bien entendu, rien ne va se passer comme il faut et s’il avance dans son enquête, épaulé par Sou, le destin va lui compliquer la tâche, en le faisant passer de vie à trépas, et toujours à deux doigts de réussir à dépasser la date fatidique du 22 juillet. Et sans trop en dire, Shinpei va découvrir que d’autres personnes sur l’île sont au courant de la présence de ces « ombres », le nom donné aux doubles, et tous vont s’unir pour découvrir la vérité.

Autant le dire d’office, la série est absolument passionnante à regarder, offrant pendant une bonne dizaine d’épisodes, au bas mot, le plaisir de finir un épisode sur un cliffhanger toujours plus original et prenant que le précédent. Le scénario sait manier avec habileté ses thèmes et apporte des nouveautés dans le concept de boucle temporelle, ce qui relance de manière encore plus tordue le récit. En effet, si Shinpei parvient, après avoir péri plusieurs fois, à arriver au 24 juillet, il va non seulement assister au massacre de l’île entière pendant le traditionnel matsuri (festival estival japonais), mais voir revenir un personnage pivot de l’histoire, et faire connaissance avec le grand méchant du récit. Et quitte à en rajouter, il va également découvrir que les sauts temporels qu’il subit ont un défaut : à chaque reboot, il revient plus tard dans la journée. Pire encore, le camp adverse va aussi s’en rendre compte, et non seulement il va suivre Shinpei dans les boucles mais aussi mettre un point d’honneur à essayer de le tuer aussi souvent que possible pour réduire à néant la durée de ses reboot. Et il périt très rarement de crise cardiaque. Vous avez été prévenus, il y a de quoi devenir accro.

De simple thriller paranoïaque à la Body Snatchers, la série va basculer à mi-chemin dans le actioner fantastique avec l’armée des ombres face au groupuscule de Shinpei et ses amis, qui vont devoir veiller à ce que celui-ci ne meurt pas trop vite et surtout s’employer à mettre hors d’état de nuire les monstres de l’île. Si la deuxième partie se montre moins subtile et moins tendue que la première (nos héros ne savent plus à qui se fier à force de trahisons et d’ombres infiltrées dans la population de l’île), elle n’en demeure pas moins efficace et trépidante. Le récit apporte son lot de retournements inattendus (nos héros vont trouver des alliés surprenants) et d’action explosive. Même les cliffhangers du début de la série sont de retour, avec des « fins de boucles de Shinpei » hyper violentes qu’on ne voit pas du tout arriver, dont une à la fois audacieuse et déroutante dans sa brutalité.

Si la série opte clairement pour la tonalité sérieuse et dramatique pour son récit, le script offre quand même quelques pauses de légèreté pour respirer un peu. On pensera à des scènes tantôt touchantes entre Shinpei et Mio, à la relation quelque peu ambiguë mais remplie d’affection, tantôt franchement comique lorsque Sou et Shinpei essaient de convenir d’un mot de passe top secret mais un peu trop compliqué à retenir, pour savoir si on a affaire à une ombre.  La série arrive même, d’un point de vue technique, à magnifier le manga original. En effet, si l’œuvre originale est en noir et blanc, son adaptation télévisuelle la colorise et fait se dérouler son théâtre du fantastique et de la paranoïa dans un décor paradisiaque, avec des meurtres à l’ombre des palmiers et sous un soleil éblouissant (une des scènes les plus violentes se déroule sur une plage de sable fin face à la mer turquoise).

Et enfin, si l’on devait pinailler un peu, on pourrait reprocher à la série de durer 25 épisodes, de ne pas arriver à rester constamment pied au plancher et de quelque peu ralentir au bout du vingtième, sorte de sur-place narratif. Mais c’est une pause avant le bouquet final.

Il n’est pas nécessaire d’en raconter davantage, le plaisir de la découverte et des sursauts de fin d’épisode se doit d’être respecté, mais Time Shadows est une excellente surprise à découvrir d’urgence sur Disney +, une vraie pépite pour tout amateur de fantastique et de science-fiction.

Romain Leclercq

Time Shadows/Summer Time Rendering de Watanabe Ayumu. 2022. Japon. Disponible sur Disney +