D’apparence discret et innocent, Le Retour des hirondelles, film de Li Ruijun, arrive en marge des salles pour ravir nos cœurs, grâce à ARP Sélection.
C’est l’histoire d’un mariage arrangé, entre deux êtres méprisés par leurs familles. Entre eux, la timidité fait place à l’affection. Autour d’eux, la vie rurale se désagrège…
Alors que l’on pouvait s’attendre à plonger dans un drame social plein de pathos et de chemins déjà arpentés maintes fois, Le Retour des hirondelles nous donne tort. Qu’est-ce que cela fait du bien de voir ce type de thématiques sociales traitées avec subtilités, sans violons, sans surlignages ou gros sabots ! Pour le cinéaste, le contexte social et le cadre du film parlent d’eux-mêmes d’une voix claire. On y voit la ruralité se dévitaliser peu à peu de ses habitants, de sa vie, de ses anciennes bâtisses, marquée par une misère prégnante. Le film aborde ici une question ô combien cruciale en Chine durant ces dernières décennies : l’exode rural et la modernisation dévorante du pays. Mettre l’accent sur cet aspect contemporain est judicieux car il a à voir avec la thématique générale du film qui est celle de la marge. Nos protagonistes sont des marginaux (un vieux pauvre fermier et une femme handicapée) au sein d’une population rurale elle-même laissée en marge du développement moderne de la société chinoise. Le contexte social du film sert donc la narration avec justesse, il est bien utilisé.
Ainsi, le fait que le film délègue au cadre son discours social lui permet de libérer de l’espace pour sa narration principale, à savoir une véritable histoire d’amour. Il semble évident que là se trouve le cœur du film. Avec délicatesse, le réalisateur nous montre la tendresse et l’amour naître (on ne peut même pas dire renaître, car ils ne l’avaient jamais connu) entre ces deux protagonistes que la vie a malmené. Malmenés par leurs entourages, ils reprennent goût à la vie par leur union. Ils deviennent si fusionnels, par les délicates attentions qu’ils se portent l’un à l’autre, que le reste du village en arrive presque à ressentir de la jalousie pour ceux qu’ils ont mis au banc. Bien sûr, le film reste un drame, un drame social, mais la chaleur que dégage cet éphémère brasier amoureux l’emporte sur tout le reste. Cette sensation est renforcée par une caméra et une façon de filmer et d’écrire très intime, toujours au plus proche de nos personnages, quitte à se sentir parfois à l’étroit dans leur foyer.
Pour rendre cet amour d’autant plus marquant et précieux, le réalisateur développe tout au long du film, en filigrane comme frontalement, la thématique de l’éphémère. Sans en dire trop sur les enjeux du métrage, on peut citer à titre d’exemple que l’on nous montre que toute entreprise dans ce cadre rural est vouée à se faire écraser par les mécaniques de modernisation dévorantes du pays. Le fait que l’on sente que rien ne puisse réellement durer rend cette tranche de vie amoureuse encore plus belle. Un peu à la façon d’une allumette qui brillerait une dernière fois en pleine hiver…
Li Ruijun nous offre donc une œuvre toute en subtilité et délicatesse, où un amour éphémère l’emporte et illumine un contexte de prime abord sombre et plombant. Un beau film, tout simplement.
Rohan Geslouin
Le Retour des hirondelles de Li Ruijun. Chine. 2022. En salles le 08/02/2023