BLACK MOVIE 2023 – The Zen Diary de Yuji Nakae

Posté le 4 février 2023 par

Nakae Yuji revient après une longue attente (2009 et Manatsu no Yo no Yume) pour livrer à l’occasion du festival Black Movie 2023 un portrait simple (dans le sens le plus noble du terme) de destins quelconques… mais à la grandeur d’âme confondante. The Zen Diary est en réalité un pur chant de beauté sous les oripeaux d’un métrage ressemblant à une étreinte, douce et concernée.

L’écrivain âgé Tsutomu vit seul dans un chalet. Il ramasse des plantes de montagne et cultive ses champs de légumes. En même temps, il écrit un livre sur la cuisine. Les saisons passent lentement. Lorsque sa belle-mère meurt et qu’il fait une crise cardiaque, il décide d’affronter sa peur de la mort…

Présenté au festival Black Movie 2023 pour sa 24ème édition, The Zen Diary s’identifie dès l’entame au genre de métrages que l’on ressent immédiatement et intimement comme une ode à l’errance. Un éloge de la lenteur apaisant, une contemplation complice faisant sourire un spectateur comparse entre nature réconfortante et scénettes du quotidien. Poignantes, ces dernières magnifient en effet et avec beaucoup de pureté et de bienveillance la main ridée d’un vieil ermite rédigeant une lettre ou la préparation d’un simple bol de riz.

Le studio Nikkatsu propose ici un métrage savoureux mais qui en rebutera certains ne s’aventurant que rarement dans les méandres du film indépendant. Le fil d’Ariane est connu de tous (gros plans fixes, musique décalée, paysages poétiques, portraits de vies simples ou quotidien sublimé entre autres) mais fonctionne toujours grâce à la tendresse ressentie face à ces personnages atypiques et aux principes moraux inébranlables. La valeur des hommes est entendue comme la plus précieuse des richesses lorsqu’elle se veut amitié, tendresse et principes d’humanité : difficile d’y trouver quoi que ce soit à redire.

Récemment présenté aux festivals internationaux de San Sebastian ou de Hawaï, le film du japonais de Nakae Yuji narre donc l’histoire de Tsutomu. Cet homme vit seul dans les (ses) montagnes et rythme ses journées en écrivant des essais ou en concoctant de bons plats traditionnels grâce à son potager ou les champignons qu’il cueille dans les collines environnantes. Une routine réglée comme du papier à musique (si ce ne sont des visites à quelques voisins tout aussi isolés) mais parfois perturbée par les arrivées impromptues mais bienvenues de son éditrice (et flirt), la fantaisiste Machiko.

 

Veuf depuis le décès de son épouse (dont il conserve religieusement les cendres) il y a plus d’une décennie, le quotidien de Tsumotu semble toute à fait lui convenir. De bons plats maison et des ingrédients sains que l’on cultive soi-même au fil des saisons (le film lui même fut tourné sur un an), quelques amis de valeur, des promenades dans les forêts de bambou et un cœur qui bat pour celle qui partage son amour des mots… Ne serait-ce pas là la recette (sic) du bonheur ?

Metteur en scène (ici également scénariste) habituellement spécialisé dans les peintures d’Okinawa, primé de la Directors Guild of Japan pour son premier film Pineapple Tours (coréalisé avec Makiya Tsutomu et Toma Hayashi) ou lors du 25e Hochi Film Award pour Nabbie’s Love, Nakae Yuji a su s’entourer, notamment par le choix particulièrement pertinent de Matsune Hirotaka. Le chef opérateur parvient ici à nous faire croire qu’aucune recherche ne fut nécessaire, qu’aucun choix de direction artistique ne fut cornélien tant le film semble rouler sur des rails et ce, sans jamais jouer de  l’esbroufe ou de la surenchère. N’en croyez rien. Le travail sobre mais très efficace effectué (pour ne citer qu’eux) comme ces mains préparant les légumes, les nuages sombres flirtant avec les hautes cimes, l’écharpe de lumière d’une maison isolée ou la symbolique du blanc lors d’un deuil sont tout simplement inattaquables. Rappelant par là même que le cinéma n’a pas besoin de fonds verts pour émerveiller, on ne peut qu’être reconnaissant devant cette économie de moyens délectable et savoureuse (et la boucle est bouclée).

Alors oui, à l’évidence, The Zen Diary n’est pas destiné à tous les publics et tout n’est pas forcément parfait ni harmonieux durant ces 2 heures. On songe de prime abord à ce choix de Otomo Yoshihide à la musique. Pourquoi ce jazz free style atonal ? Un parti pris courageux certes mais violoncelles, flutes traversières ou instruments à vent auraient peut-être été plus à propos pour illustrer la poésie ou la mélancolie picturale. Autre grief : certes Sawada Kenji et la belle Matsu Takako sont parfaits car d’un naturel confondant mais la galerie des autres personnages semble elle aussi être avoir été écrite avec un peu plus de stéréotypes à l’esprit. Un humour pince sans rire que l’on ne vivra finalement que dans le huis-clos de la demeure de Tsumotu, à l’exception du repas de funéraille (oui ici, on cuisine à l’écran toutes les 10 minutes et c’est sacrément frustrant !).

Basé sur l’essai non fictionnel de 1978 de Mizukami Tsutomu, l’œuvre est donc imparfaite mais terriblement attachante. Semblable à une recette de famille légèrement trop épicée, vinaigrée ou salée mais qui sent bon l’enfance et les souvenirs, The Zen Diary est tout cela. Une œuvre fragmentaire mais évocatrice, complexe et attendrissante. Difficile de lui trouver des défauts tant sa tendresse est communicative et donne envie de continuer dès demain et avec votre mère le carnet de recettes que vous entretenez, conservez et archivez comme une relique sacrée.

La vie réserve certes son lot d’épreuves (ici la mort de sa femme, un décès dans la famille ou un ennui de santé avec pour théâtre la préfecture de Nagano) mais vaut tout simplement la peine d’être vécue. Tout comme la mort se meut en obsession (ou prise de conscience) dans le dernier tiers du film (et du « choix » qui se présentera à lui), la psyché de Tsumotu évoluera elle aussi dans quelque chose de plus sombre, nuancé, confiant, pragmatique, réaliste ou pessimiste… In fine, la certitude des sentiments se transforme alors et inévitablement, selon « l’humeur » du temps. De l’évidence de l’hédonisme et de vivre chaque jour comme le dernier, The Zen Diary deviendra (peut-être) le paradoxe d’un constat indiscutable d’une humanité qui a décidé d’oublier…

Jonathan Deladerrière

The Zen Diary de Yuji Nakae. 2022. Japon. Projeté au Black Movie 2023

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