PIFFF 2022 – Shin Ultraman de Higuchi Shinji : Ultra Heaven

Posté le 8 décembre 2022 par

Après Shin Godzilla, le duo Higuchi Shinji/Anno Hideaki continue sa relecture des figures de la pop culture nippone. Ce deuxième opus de ce qui semble constituer une trilogie avec Shin Kamen Rider en 2023 tente d’explorer les différentes facettes d’un personnage dont les images se sont diluées dans la culture nippone telle une icône religieuse. Les deux artistes confrontent Ultraman à une époque de confusion où l’ennemi est beaucoup moins alien que familier.

L’unité SSSP est confrontée à l’apparition de Kaiju. Alors que la situation semble être en défaveur de l’humanité, Ultraman apparaît des cieux. C’est dans cet élan, dans ce mouvement que Shin Ultraman nous invite à suivre les pérégrinations de l’unité SSSP et du héros alien. Shin Ultraman est une œuvre en deux parties. Dans la première, il faut se débarrasser des illusions et faire le tri dans les images. Lors de la deuxième attaque au début de l’œuvre, l’une des membres du SSSP dit qu’elle déteste aller dans la forêt car il y a des insectes. Quelques minutes plus tard, alors qu’elle est dans la forêt, une mouche se pose sur son écran. C’est un insecte, un bug. La vie surgit pour faire « buguer » l’analyste qui ne voyait le réel qu’à travers un écran. Exactement comme elle voit Ultraman, et comme nous voyons Ultraman qui est une figure originaire de la télévision. Ultraman vient transcender la forme du petit écran par son gigantisme, mais aussi par la puissance de « la nature » qu’il semble évoquer, de par son origine extraterrestre. Mais le duo ne s’arrête pas là dans sa recontextualisation. Anno et Higuchi utilisent la musique originale, multiplient les sources et les régimes d’images. Nous sommes piégés dans une logique de flux où justement on ne peut plus faire la différence entre l’originale et la copie, entre les doubles, les itérations, les illusions.

Paradoxalement, Anno et Higuchi dépeignent un monde tellement rationnel qu’il se noie dans sa propre confusion des sens et des sensations. Ils rendent explicites les allégories que portent les Kaiju par des plans sur des passants ou des commentaires d’internautes, mais ce mouvement de dévoilement est en fait la première étape d’un geste plus profond de révélation. Les compositions de Higuchi pendant les dialogues continuent le geste esthétique d’Anno Hideaki depuis ses premières œuvres chez Gainax, et qu’il a également retranscrit dans ses œuvres live. Cette esthétique, il l’a hérité des cinéastes des années 60 comme Jissoji Akio ou Yoshida Yoshihige voire Shinoda Masahiro, plus particulièrement le dispositif qui consiste à bloquer une partie de l’image et à isoler les corps selon l’évolution des dialogues (on change de valeurs de plans à chaque phrase) pour que les émotions s’accordent à chaque ligne de dialogues, à chaque micro-changement dans les échanges en temps réel, autant pour les protagonistes que pour le spectateur. Tout cela pour nous rappeler que nous n’avons jamais accès à une vision globale des situations, à l’entièreté des informations ou des points de vue donc à l’ensemble de l’image. Pourtant les personnages y arrivent en suivant les traces qui mènent à l’original ; ils sont attentifs à la réalité. Ils retrouvent Ultraman en suivant des traces lumineuses. Alors que l’ennemi tente de les contrôler puis des les faire crouler sous les ordres,  des sons venus de nulle part et des images fausses (venues d’internet). Shin Ultraman n’est pas une charge contre les média ou les réseaux sociaux, mais contre l’anarchie des images qui mettent l’ensemble des informations au même plan, sur l’état de confusion ambiant. Dans un monde où nous n’avons accès qu’à une partie de l’image/réalité, il est facile de se perdre si l’on ne sait plus où regarder. Ou on ne sait plus si ce que l’on voit ou entend est réel. Il y a d’ailleurs un jeu sur le fait que l’ouïe et la vision, les deux matières du cinéma, sont trompeuses. De même, Ultraman se bat deux fois contre son double, un double identique (simulacre) et un double négatif (mauvais). Et l’idée assez incroyable pour amorcer son retour dans le climax de la première partie est l’utilisation de son odorat, qui est lié à son humanité et qui  révèle l’amour, du moins le désir sous-jacent de Asami. Il s’agit aussi de cela : de retrouver ses sens, son corps et ses désirs pour l’existence humaine.

La deuxième partie se révèle être dans le même mouvement que Evangelion: 3.0 +1.0  Thrice Upon A Time. Une fois Ultraman revenu à lui-même, une fois l’image « originelle » retrouvée, une fois la concordance entre le corps et l’esprit faite, il doit affronter le poids de sa condition d’homme, sa mortalité. Pour cela, Kaminaga/Ultraman entreprend une sorte de monologue devant le cadavre de l’homme dont il a pris l’enveloppe charnelle dans la forêt. La symbolique de la renaissance est évidente ; l’unité au présent finalement retrouvée. Les musiques de Ultraman original sont donc absentes dans cette seconde partie ; il n’y a même plus réellement de musique. Kaminaga doit affronter son humanité, comme une sorte d’échec. Dans la logique de Shin Godzilla, Anno place l’humanité face à ses responsabilités écologiques donc face au destin de la planète qui est toujours le véritable enjeu des combats. Kaminag doit accepter d’incarner Ultraman en tant que terrien et non plus seulement en être l’image ; il doit accepter de mourir, comme il doit accepter la responsabilité d’être un humain sur terre, donc de protéger cette dernière. A l’instar du dernier Evangelion, le dernier plan du film révèle que ce n’est pas Ultraman qui est revenu à lui mais que la véritable opération, presque transmutation de l’œuvre, ne se jouait pas seulement entre ses protagonistes. Le retour d’une esthétique plus psychédélique qui rappelle les années 60 (époque de la création d’Ultraman) autant que les plans quasi-christiques similaires au Superman de Snyder (qui évoque l’imaginaire catholique que portait Tsuburaya Eiji, créateur d’Ultraman) sont les deux gestes esthétiques de l’acte final et expriment le caractère épiphanique à l’œuvre durant Shin Ultraman. Ce n’est pas Kaminaga (qui signifie dieu éternel) qui est réellement Ultraman, devant guider et protéger la planète par son humanité, c’est nous. C’est désormais la mission que Anno a transmis au spectateur dans le dernier plan subjectif où il lui souhaite la bienvenue, comme ultime incarnation de Ultraman.

Kephren Montoute

Shin Ultraman de Higuchi Shinji. Japon. 2022. Projeté au PIFFF 2022

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