MUBI – Battle Royale de Fukasaku Kinji

Posté le 10 novembre 2022 par

Sur MUBI est désormais disponible Battle Royale : l’occasion de se (re)pencher sur le premier film, sorti en 2000 et l’un des chefs d’œuvre du réalisateur culte japonais Fukasaku Kinji.

Adapté du (très bon) roman éponyme de Takami Koshun, Battle Royale est devenu un tel phénomène qu’il paraît presque superflu de le présenter. Ce survival narre la mise en application de la loi « Battle Royale » visant à faire décroître la délinquance juvénile dans un Japon, alors en crise. Chaque année, une classe d’ados « difficiles » est sélectionnée et emprisonnée sur une île déserte, dans un protocole encadré par l’armée. Les collégiens disposent alors de 3 jours pour se battre à mort entre eux, jusqu’à ce que n’émerge qu’un seul survivant. Fukasaku nous fait suivre la classe de 3ème B, tirée au sort pour participer à la nouvelle édition de cette Battle Royale. Ce principe du « jeu de survie » n’a pas été inventé avec Battle Royale et on peut penser à des exemples antérieurs de livres et films suivant ce thème, notamment le Running Man de Stephen King adapté au cinéma par Paul Michael Glaser ou bien Le Prix du danger de Robert Sheckley et son adaptation en film par Yves Boisset. Néanmoins, il n’est pas abusif de dire que Battle Royale a révolutionné ce concept de survival et véritablement lancé une vague de films, livres, mangas, séries et jeux vidéo, inspirés plus ou moins explicitement du roman de Takami et du long-métrage de Fukasaku. Nous pouvons citer pêle-mêle la saga des Hunger Games, le manga Kaiji, les séries Alice in Borderland et Squid Game, les franchises vidéoludiques Danganronpa et Zero Escape, comme faisant partie de la (très) longue lignée des œuvres ayant découlé de Battle Royale. L’œuvre a même donné son nom à une catégorie entière des jeux vidéo opposant les joueurs sur une carte restreinte avec peu d’équipements jusqu’à ce qu’une équipe ou une personne soit la dernière en vie, comme Fortnite, Call of Duty: Warzone ou Apex Legends. En bref, il y a eu un avant et un après Battle Royale, en ce qui concerne le genre de l’action/horreur, tous médiums de fiction confondus.

Quand bien même certaines des œuvres citées ci-dessus sont d’une grande qualité, Battle Royale demeure un monument inégalable et inégalé. Le film parvient à trouver un équilibre extrêmement juste entre une critique sociale et politique globale et les conséquences du jeu sur les valeurs et comportements de ses (nombreuses) victimes. Le propos de Battle Royale a été à maintes reprises analysé et décortiqué par des critiques et théoriciens et le spectre d’interprétations traduit la richesse et la pertinence du film. Battle Royale parvient à traiter de (presque) toutes les dérives totalitaires du néolibéralisme tout en évitant un propos simplificateur. En ce sens, l’insert du point de vue du professeur, M. Kitano, joué par l’iconique Kitano Takeshi (Hana-Bi, Outrage, Sonatine, etc.), dans un de ses meilleurs rôles, témoigne d’une situation dans laquelle tous les personnages sont victimes d’une situation qui les dépasse. M. Kitano, au départ très satisfait de pouvoir enfin rendre la monnaie de leur pièce à ceux qu’il considère être des délinquants sans valeur, ne fait finalement que sombrer plus profondément dans la dépression, au fur à et mesure du jeu. Son insatisfaction due à ce qu’il considère être le déclin de la société ne peut être comblée que par une vengeance ou une reprise de pouvoir sur ces jeunes, tant le problème est bien plus vaste. La question posée à la fin de la version longue de Battle Royale : « Dans cette situation, que peut dire un adulte à un enfant ? » rend explicite le fait que le propos politique du film dépasse le simple conflit intergénérationnel. L’incapacité des adultes à assumer les travers d’un système en pleine implosion qu’ils lèguent à leurs descendants, et qui mène à la loi Battle Royale, est finalement la raison de leur chute, qui se poursuivra d’ailleurs dans le second opus.

En prime de ces constats, Fukasaku réussit le tour de force de ne pas céder au nihilisme et au cynisme, qui aurait pu se dégager de telles thématiques. Les divers points de vue des élèves, certes moins développés que dans le roman original mais toujours présents, en plus d’éviter une déshumanisation malvenue, témoignent des limites de l’être humain dans une situation totalitaire mais également de leur volonté de les dépasser. Nous observons des personnages qui tentent de survivre en acceptant les règles mais également ceux qui s’entraident, ceux qui refusent de participer, quitte à en payer les conséquences, ceux qui se mettent en danger volontairement pour aider le groupe, etc. Les dérives funestes du jeu surviennent d’ailleurs à plusieurs reprises lorsque cette union est brisée. Le « Quelles idiotes, on aurait pu toutes s’en sortir », clamé par une élève après qu’un soupçon de trahison ait fait exploser son groupe d’amies de l’intérieur et déclenché un massacre, résonne à ce niveau comme une mise en garde. En plus de l’insurrection face au totalitarisme, c’est véritablement l’union qui fait la force et c’est d’ailleurs elle qui permet aux survivants de mettre fin à cette spirale de tragédies. Néanmoins, Fukasaku ne cède pas non plus à la facilité et ne présente pas les comportements individualistes comme un défaut personnel des élèves qui choisissent de prendre part au jeu. Leurs actions ne sont que le fruit du conditionnement qu’ils subissent, que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur de l’île de Battle Royale. Fukasaku fait ainsi le tour de la question complexe des capacités d’actions possibles dans un système qui les restreint volontairement.

De même, l’utilisation de la violence assez graphique qui a valu au film d’être interdit au moins de 15 ans au Japon soulève des questions assez intéressantes. L’aspect volontairement exacerbé de certaines scènes de meurtre les font tendre davantage vers l’artificiel que vers un traitement réaliste. Fukasaku réoriente alors le regard vers la vraie violence : l’organisation de cette Battle Royale, davantage que celle de ses pions. On a souvent comparé la mise en scène de certains plans de Battle Royale à un jeu vidéo et ce caractère vidéoludique des combats à mort permet à Fukasaku d’être plus explicite sur ceux qu’il cible comme responsables. Les élèves ne font qu’évoluer dans ce monde contrôlé, abstrait et contrefait dans lequel plus rien n’est concret. A ce titre, une volonté de réalisme aurait probablement rendu le propos et les thématiques du film plus confus et maladroits, quand bien même cette représentation des mises à mort a pu heurter le spectateur, à sa sortie et même après.

Elie Gardel.

Battle Royale  de Fukasaku Kinji. Japon. 2000. Disponible sur MUBI