FFCP 2022 – I am More de Lee Il-ha

Posté le 2 novembre 2022 par

Le Festival du Film Coréen à Paris (FFCP) 2022 nous a permis de découvrir le 3e documentaire du réalisateur Lee Il-ha, I am More, sorti initialement en 2021.

Nous suivons l’histoire de More, danseuse de ballet et artiste drag, entre ses performances dans le quartier Itaewon de Séoul, la préparation d’un spectacle à New York pour célébrer les 50 ans des émeutes de Stonewall, sa vie quotidienne et ses relations intimes avec sa famille ou son compagnon russe de longue date, Zhenya.

Comme l’indique le titre du film et son synopsis, l’intime prône dans ce documentaire. Le récit intime de More est mis sur le devant de la scène et en présentant autant d’aspects différents de la vie de l’artiste, nous apprenons à connaître en détails sa personnalité en seulement 1h20 de film. Pour communiquer des éléments aussi intangibles que des émotions, des rêves et des frustrations, Lee Il-ha axe son film autour de la danse et de la musique. Nous assistons à de nombreuses scènes de performance artistique, qu’elles aient lieu dans des bars, dans la rue, en studio ou même sur des tracteurs en pleine campagne, pour nous présenter More. Le parti pris est audacieux et fonctionne extrêmement bien. Nous retrouvons un effet disruptif dans ces séquences de danse en public, offrant une revanche à l’interprète qui s’est faite mettre de côté dans le milieu de la danse classique parce que « trop efféminée ». Sur le plan cinématographique, la mise en scène, les danses et la musique résonnent de concert et transmettent toutes une émotion brute impossible à ignorer. Il est assez saisissant d’observer un tel accent placé sur le corps en mouvement tout en filmant majoritairement le visage impassible de More, incitant alors encore davantage à une projection émotionnelle. De même, les paroles des chansons et des poèmes jouent elles aussi un rôle dans cette construction et nous pourrions presque qualifier I am More de comédie musicale. En insistant autant sur le travail et l’art de More, nous apprenons non seulement à mieux la connaître mais aussi à mieux connaître le drag, et tous les efforts physiques et psychiques qu’il requiert. Face à de telles prouesses et à la somme de travail investi pour les délivrer, il est très facile de se sentir aussi frustré que More lorsqu’elle indique recevoir majoritairement des pourboires dérisoires.

 

I am More revêt également un aspect militant, ce qui ne surprend que très peu au vu du sujet. Lee Il-ha se penche sur les difficultés rencontrées par More tout au long de sa vie, qu’elles aient été interpersonnelles ou sociales, avec une délicatesse assez impressionnante. Il illustre les situations décrites par More avec une approche très poétique et sensible, qui redouble l’impact émotionnel. Une séquence extrêmement dure durant laquelle More raconte une tentative de suicide à l’adolescence est illustrée par une interaction paisible avec des enfants qu’elle rencontre dans un parc. Lee Il-ha alterne constamment les émotions représentées et les façons de les mettre en scène et toutes se nourrissent les unes des autres, à l’image de ce que dit More lorsqu’elle explique qu’elle entretient une relation d’amour-haine avec le drag. Le couple que forme More et Zhenya est d’autant plus touchant que nous assistons à leurs reproches mutuels ou leurs états d’âme tout autant qu’à leur amour et leurs moments de tendresse. Nous passons de la joie à la mélancolie, du rejet à l’acceptation et du désespoir à l’espoir avec brio tout au long du film. Lorsque sont évoquées les manifestations contre les droits LGBT qui ont lieu à Séoul, Lee Il-ha clôture sa séquence par une pose triomphante et intimidante de More dans un costume extravagant qui la fait ressembler à un ange, parmi des militants LGBT assis tout autour d’elle. Il fait triompher un esprit vindicatif et presque optimiste, tout en ne minimisant pas les problèmes structurels liés à l’acceptation de l’homosexualité et de la transidentité dans un pays conservateur. Nous comprenons alors la difficulté de la lutte de sa protagoniste sans céder au nihilisme ou au désespoir. La séquence finale sublime encore cette idée et laisse un sentiment d’apaisement alors même que nous avons entendu des témoignages parfois glaçants et tragiques.

I am More est une vraie réussite du mariage entre le pouvoir créatif et la réalité, de même qu’entre la revendication sociale et l’intime. Toutes les scènes de pure vie quotidienne de More suscitent l’intérêt et un attachement encore renouvelé à la protagoniste. Là encore, l’humanité est retransmise de façon extrêmement subtile et il est très appréciable d’assister à des séquences que l’on ne voit que très rarement illustrées au cinéma. On pense, par exemple, à la scène dans laquelle More se fustige de n’avoir pas su interagir « correctement » avec le réalisateur et acteur John Cameron Mitchell (qui intervient à plusieurs reprises dans le documentaire) parce qu’elle était trop émue et intimidée de le rencontrer, situation que tous les fans ayant rencontré un jour leur idole ont vécu. Il y a un amour du trivial perceptible dans I am More. L’intimité familiale se traduit par un visionnage de la télévision entre More et son père, le compagnon de More trouve du réconfort face aux difficultés en jouant à Pokemon Go, etc.

I am More mérite le coup d’œil, que l’on soit amateur de cinéma documentaire, ou non, et intéressé par le sujet, ou non. Le mélange des genres, des formes artistiques et des sensations éprouvées est surprenant, audacieux et impeccablement manié. Un film qui donne à la fois envie de suivre la trajectoire du réalisateur et de son actrice/sujet.

Elie Gardel.

I am More de Lee Il-ha. Corée du Sud. 2021. Projeté au FFCP 2022.