Nouveau film du stakhanoviste Adilkhan Yerzhanov avec Immunité collective, une comédie qui prend pour toile de fond le confinement lié au coronavirus. C’est parti pour un Mardi gras kazakh et sa cohorte de voyous, de simplets et de flics zélés et incompétents, plus ou moins déglingués. 100% Yerzhanov, donc.
Dans la ville de province de Karatas, Selkeu Uashev (joué par Daniyar Alshinov, acteur récurrent chez Yerzhanov) est un officier de police à la cool, adepte des pots-de-vin et laxiste avec la pègre locale. Son activité de racket tranquille et décomplexée est troublée lorsqu’un supérieur hiérarchique débarque à Karatas pour faire respecter le confinement lié au coronavirus. Selkeu Uashev va devoir épauler un policier zélé, accessoirement mari de son ex-femme, et marcher sur des œufs pour ne pas trop déranger les activités illicites des barons locaux. Évidemment, ça tourne mal…
Dans le documentaire Cracked Actor réalisé en 1974 par Alan Yentob, on suit David Bowie lors d’une tournée aux États-Unis. Dans une séquence, le chanteur anglais explique comment il utilise la méthode du cut-up, popularisée par Brion Gysin et William Burroughs, pour écrire les paroles de certaines chansons. Il écrit des phrases sur une feuille de papier, les découpe une par une, dépose les bandes de papier dans un chapeau et les tire au sort pour finaliser l’agencement des paroles. Une méthode que pourrait utiliser Yerzhanov pour ses scénarios. Écrire ses idées et ses gimmicks, les mélanger dans un chapeau (chapeau qui sera bien sûr l’un des accessoires du film) et piocher dedans pour concevoir le déroulé général de son œuvre. Exemples de phrases : « dans Karatas soumis au confinement du coronavirus », « un agent de police en chemise hawaïenne », « une jeune orpheline en robe obsédée par le papier peint », « un interrogatoire sanglant et absurde dans un commissariat miteux », « une scène de danse filmée pour TikTok », « inclure des affiches de Serpico et du Cercle rouge« . Et ainsi de suite jusqu’à assembler ces idées en un film cohérent plus ou moins délirant avec de coutures parfois voyantes. C’est la sensation que l’on a en regardant Immunité collective.
De film en film, Yerzhanov crée et peuple sa ville fictive de Karatas : une utopie, c’est-à-dire un « lieu qui n’existe pas », ou plutôt, qui n’existe qu’au cinéma. Forcément inspiré du Kazakhstan contemporain et loin d’être exemplaire car peuplé d’une faune pas forcément glorieuse (voyous, assassins, trafiquants et exploiteurs en tout genre), ce Karatas est bien un lieu idéal pour une déambulation et une fantasmagorie cinématographiques.
Avec Immunité collective, Yerzhanov préfère l’absurdité comique au non-sens tragique. On rit de bon cœur face au comportement irresponsable et immature des protagonistes, notamment le policier à la cool Selkeu Uashev et son acolyte, un ancien voyou, qui, entre deux tentatives d’extorsion ratées, répètent un numéro de danse rythmé par de la musique hawaïenne. Cependant, tout n’est pas à prendre à la légère dans ce Karatas au fonctionnement proche d’une cour d’école mais où le travail illégal et le trafic se substituent à la marelle et à la balles aux prisonniers. Yerzhanov saupoudre donc sa comédie d’éléments tragiques, même si ces derniers sont mis en scène de manière ridicule. Un brouillage des genres typique du réalisateur. C’est ce qui fait en partie son charme. Mais il manque à Immunité collective un supplément de je-ne-sais-quoi, une épaisseur et une émotion qu’on retrouve dans ses autres films (notamment A Dark-Dark Man, Yellow Cat et Assault). Peut-être aussi un manque de nouveauté ou de fraîcheur tant le film répond aux gimmicks habituels du réalisateur.
Immunité collective est toutefois une œuvre recommandable qui, si elle n’étonnera pas les familiers de Yerzhanov, fera passer un moment toujours agréable dans l’absurdie ambivalente de Karatas.
Marc L’Helgoualc’h
Immunité collective d’Adilkhan Yerzhanov. Kazakhstan. 2021. Projeté à l’Étrange Festival 2022.